Si les cinéastes africains ne manquent pas de talent, ils doivent se battre pour relever de nombreux défis afin de briller. A commencer par le financement de leurs œuvres et aussi l’absence d’un vrai marché pour leurs œuvres.
«Le film a un budget d’un million d’euros, c’est-à-dire 650 millions de francs CFA environ. Il a été financé en partie par l’État burkinabé, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et par d’autres structures» ! C’est ce que Dani Kouyaté a confié à la presse à propos de son long métrage, «Katanga, la danse des scorpions» qui a remporté «l’Etalon du Yennenga» de la 29 édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) s’est déroulée du 22 février au 1er mars 2025 dans la capitale du Burkina Faso.

Dani Kouyaté est entré dans le cercle des réalisateurs ayant décroché l’Etalon du Yennenga du FESPACO
Et naturellement que mobiliser le financement n’a pas été une équation facile à résoudre. «Si on avait un million d’euros, on aurait pu faire le film comme on avait prévu. Mais, il se trouve qu’on ne les a jamais quasiment. La particularité de notre cinéma, en tout cas ici au Burkina Faso, est que nous avons des techniciens très aguerris, nous avons des bons comédiens qui sont des passionnés et qui comprennent aussi que nous n’avons pas tout le temps les budgets que nous souhaitons», a-t-il déploré.
Alors, a précisé Dani Kouyaté, «quand je fais mon budget, je mets le salaire des techniciens comme je souhaite les payer. Et je mets les salaires des comédiens, du comédien principal, ce qu’ils auraient dû gagner, normalement, par rapport à ce que je leur demande. Après, à la réalité de ce que j’ai, alors, je vais lui présenter les choses telles qu’elles se présentent et je vais essayer de négocier. Et je vais négocier avec les techniciens qui sont des passionnés et qui comprennent aussi la situation et qui font des sacrifices et qui sont quand même engagés».

L’Etalon du Yennenga du FESPACO, une prestigieuse récompense très convoitée par les réalisateurs du continent et de sa diaspora
C’est ainsi que les professionnels du cinéma africain parviennent à «quantifier le manque à gagner par l’engagement des acteurs et des techniciens» pour que leurs œuvres restent au même budget. «Le film reste donc dans le même budget, sauf que vous arrivez à jongler pour le faire avec moins d’argent. C’est comme cela que ça fonctionne. En réalité, nous avons fait le film autour de 400 millions F CFA au lieu de 600 millions F CFA».
Pas de financements sans un vrai marché du cinéma
Et pour Dani Kouyaté, «le plus grand défi est de créer un marché… Il n’y a pas de financement sans marché, sinon ce sont des subventions. Si on veut vraiment que le cinéma africain s’auto-produise, cela veut dire qu’il faut poser la question du marché. Et qui pose la question du marché pose tout de suite la question de consommation». Et d’ajouter, «c’est vrai que le cinéma, c’est avant tout la culture, l’art, qui ne se marchande pas. Mais, en même temps, il ne peut pas marcher sans économie de marché puisque le cinéma demande beaucoup d’argent. Et c’est cet équilibre qui est assez compliqué et complexe à trouver».
«Ce qui fait que, partout dans le monde, les gouvernements sont obligés de s’impliquer dans l’économie du cinéma. Dans quasiment tous les pays, on a un centre national du cinéma qui gère de l’argent public pour aider et supporter le cinéma. Et notamment pour aider les films qui sont en difficulté financière, car il y a des films qui arrivent commercialement à s’en sortir», a indiqué le cinéaste. Le réalisateur a aussi rappelé que qui «parle d’économie du cinéma parle de production, de distribution et d’exploitation. Ce sont ces trois niveaux de la chaîne qui se complètent et qui tournent en boucle. Pour produire, il faut de l’argent. Et pour avoir de l’argent, il faut un distributeur qui met les films dans les salles pour les exploiter. Et ces trois maillons de la chaîne doivent donc interagir pour que l’économie se mette en place», a-t-il expliqué.
Dans l’entretien accordé à nos confrères de «cfinance.news», Dani Kouyaté a aussi évoqué «la question fondamentale de la création et de l’identité» qui était également le thème de la 29e édition du Fespaco : «Cinéma et identité culturelle» ! Pour le nouvel «Etalon du Yennenga», cela signifie que «nous devons raconter nos histoires, des histoires qui nous ressemblent. Nous devons construire notre identité à travers le cinéma car l’identité se construit. L’identité ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel comme le disait Joseph Ki-Zerbo, l’identité se construit».
Inventer une économie pour pousser les jeunes à s’engager dans le cinéma
Et de poursuivre, «aujourd’hui on est décomplexé, on peut assister à la naissance d’un cinéma qui nous ressemble, qui ressemble aux jeunes, qui ressemble aux cinéphiles et qui peut créer leur engouement pour aller dans des salles de cinéma. Il faut inventer notre économie pour que les jeunes qui arrivent, produisent des films qui soient consommés par les gens d’ici et que l’argent qu’ils récupèrent soit réinvesti dans le cinéma. C’est ce qu’on doit faire pour vraiment rentrer dans un cas d’économie du cinéma un peu cohérent».
Pour Dani Kouyaté, «il faut du tout pour faire un monde. C’est important qu’il y ait du cinéma populaire, c’est important qu’il y ait des films d’auteurs. Le cinéma populaire permet de faire rouler la machine industrielle cinématographique, c’est le secteur populaire qui peut simuler cela». Et puis après, a souligné le talentueux cinéaste, «il y a les auteurs qui ont une ambition différente, qui veulent raconter des grandes histoires, prendre leur temps, et qui vont chercher beaucoup plus d’argent. Les choses se recoupent. C’est comme un vase communiquant».

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Pour le Burkinabé, «Nollywood» du Nigeria est une référence. «Il y a un grand cinéma populaire qui fait rouler la machine. Ce sont des millions d’argent qui roulent dans cette machine-là. Mais, le cinéma d’auteur en profite, directement ou indirectement. Ce sont donc des vases communicants qui sont subtils, ce n’est pas cloisonné. S’il y a un cinéma populaire Burkinabé, qui fait tourner, qui produit de l’argent et si moi j’arrive avec mon film d’auteur, je vais trouver une machine qui roule, des salles de cinéma qui fonctionnent et cela va forcément influencer mon travail, d’une façon ou d’une autre», a-t-il expliqué. Et puis, a précisé Dani, «je ne fais pas du cinéma dit populaire. Mais, quand je touche aux fibres, comme ce que j’ai fait avec Katanga, sans avoir la prétention d’être un cinéma populaire, ça reste quand même ouvert à la population. Et puis ça apporte une autre couleur car il faut différentes couleurs pour faire un arc-en-ciel».
Aux jeunes réalisateurs, le lauréat de l’Etalon du Yennenga du «Fespaco 2025» conseille de «croire en soi-même» d’abord. «Il faut se prendre au sérieux, c’est un métier… Puisque nous avons parlé de finances, si des jeunes veulent s’intéresser à l’économie du cinéma, il faut qu’ils essaient de comprendre ce que cela signifie, qu’ils fassent des formations. Et ça, on en a besoin, ça manque beaucoup. On forme des réalisateurs, des techniciens. Mais des producteurs, des distributeurs… on doit en former aussi… C’est une technique, ce sont des choses scientifiques et il y a des stratégies, plein de choses à connaître», a-t-il conclu. Des conseils judicieux pour une relève réellement ambitieuse d’écrire sa propre page du cinéma africain !
Moussa Bolly
Avec : cfinance.news