Ces dernières semaines, la Mauritanie a refoulé des subsahariens, dont de nombreux Maliens, qui transitent par ce pays pour espérer rejoindre l’Europe, l’Eldorado rêvé. Malgré tout, les autorités maliennes refusent de croire à une chasse à l’homme et soutiennent que les relations entre les deux pays sont au beau fixe. C’est ce que laisse entendre un communiqué publié le 7 mars par le ministère des Maliens établis à l’extérieur et de l’Intégration africaine (MMEIA). Un avis que tout le monde ne partage pas sans doute.
«Il n’y a pas de chasse ciblée contre les Maliens en Mauritanie, il y a une politique migratoire en cours» ! C’est ce qu’a déclaré le ministre des Maliens établis à l’extérieur et de l’Intégration africaine, Mossa Ag Attaher, dans une interview exclusive accordée à l’ORTM le 7 mars 2025 au sujet de la situation de ses compatriotes vivant en Mauritanie.

Des Maliens expulsés de la Mauritanie
Une sortie médiatique qui fait suite à l’arrivée massive des Maliens au poste de Gogui en provenance de la Mauritanie depuis le 2 mars 2025. Selon certaines sources, plus de 200 ressortissants maliens ont été renvoyés à la frontière à la suite d’une grande incursion des forces de sécurité dans leurs lieux d’activités à Nouakchott, la capitale mauritanienne. Pour le département, ceux-ci sont plutôt victimes d’un nouveau processus de régularisation. Il est ainsi question d’une «opération spéciale de délivrance de cartes de résidence aux Maliens établis en Mauritanie avec exemption des frais» avec «l’implication de l’ambassade du Mali a Nouakchott…».

Des Maliens expulsés de la Mauritanie pour officiellement défaut de carte de séjour
«Suite aux informations faisant état de l’arrivée de plusieurs de nos compatriotes au poste frontalier de Gogui en provenance de la Mauritanie, le département en charge des Maliens établis à l’Extérieur a dépêché une mission sur place, conduite par le Délégué général des Maliens de l’extérieur», a indiqué un communiqué rendu public le 7 mars 2025 par le ministère des Maliens établis à l’Extérieur et de l’Intégration africaine (MMEIA). Selon le département, «un soutien financier et matériel d’urgence a été apporté aux premiers arrivants et un accueil digne leur a été réservé». Et de rappeler que le Mali et la Mauritanie entretiennent des liens multiséculaires fondés sur l’amitié et la fraternité.

Des migrants expulsés ont mis le feu à un poste de contrôle de la police à la frontière entre la Mauritanie et le Mali
«Les populations de nos deux pays frères ont, de tout le temps, vécu ensemble en parfaite harmonie. De même, de fortes communautés maliennes et mauritaniennes vivent de part et d’autre des deux frontières», a précisé le MMEIA. Dans son interview accordée à l’ORTM, le ministre Mossa Ag Attaher a tenu à rassurer nos compatriotes que leur «situation fait l’objet d’une prise en charge des autorités maliennes et mauritaniennes». Il les a exhortés au calme en les invitant à ne pas «céder aux provocations».
Des retombées positives d’une visite à Nouakchott ?
Et c’est pour clarifier la situation des Maliens établis en Mauritanie qu’il s’était rendu à Nouakchott en fin décembre 2024, porteur d’un message du président Assimi Goïta à son homologue Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, président de la République islamique de Mauritanie. Selon Mossa Ag Attaher, cette visite a permis d’avoir plusieurs résultats, notamment le lancement d’une opération spéciale de délivrance de cartes de résidence aux Maliens établis en Mauritanie avec «exemption de paiement de frais» et la mise en place d’un cadre d’échange permanent entre l’ambassadeur et les services des ministères mauritaniens concernés (Affaires étrangères, Intérieur). Sans oublier, l’implication de l’ambassade du Mali à Nouakchott pour une large adhésion des Maliens au nouveau processus de régularisation des étrangers.

Le Ministre des Maliens établis à l’extérieur, Mossa Ag Attaher, a rencontré à Kayes des Maliens expulsés de la Mauritanie
En tout cas, le communiqué a assuré que le département suit avec attention l’évolution de la situation et se fera «le devoir de prendre toutes les mesures nécessaires au renforcement de la protection de nos compatriotes». Donc, pour Bamako, il ne s’agit pas d’une chasse à l’homme qui vise particulièrement les Maliens. Selon nos informations, cette décente musclée est effectivement liée à la nouvelle politique du pays en matière d’immigration. Sauf que, beaucoup de personnes refoulées se disent être en conformité avec la législation.
D’autres rappellent «l’impossibilité pour les Maliens résidant en Mauritanie d’obtenir une carte de séjour. Si le paiement est nécessaire pour obtenir la carte de séjour, comme l’ont indiqué les autorités mauritaniennes, nous sommes totalement disposés à le faire. Toutefois, sachez que la carte de séjour reste introuvable». Selon ces derniers, «les étrangers, particulièrement les Maliens, sont à la recherche de la carte de séjour sans succès. Nous commençons la démarche, nous réglons les frais, un rendez-vous nous est attribué, mais l’obtention de la carte de séjour nous échappe toujours».
Ainsi, ont-ils indiqué, «les Maliens sont contraints de se rendre à l’ambassade pour obtenir des cartes consulaires et des laissez-passer afin de voyager ou de se déplacer à l’intérieur de la Mauritanie, car la carte de séjour n’est pas disponible. Maintenant, tout est en désordre».
Des traitements inhumains qui vont à l’encontre des valeurs d’intégration africaine
«Le traitement réservé aux migrants subsahariens en Mauritanie est une honte absolue et une violation inacceptable des droits humains. La campagne xénophobe et discriminatoire menée par les autorités mauritaniennes contre les Sénégalais, Maliens, Ivoiriens et d’autres ressortissants africains n’est rien d’autre qu’un racisme d’État assumé, qui rappelle les heures les plus sombres de l’histoire», a déploré Khally Diallo, député à l’Assemblée nationale de la Mauritanie.
«La détention et l’expulsion de ces hommes et femmes ne sont pas seulement inhumaines, elles sont aussi une insulte au mandat que la Mauritanie vient d’achever à la tête de l’Union africaine (UA)… Comment peut-on prêcher l’unité du continent sur la scène internationale tout en pratiquant la division et la stigmatisation chez soi ? Ces traitements vont à l’encontre des valeurs d’intégration africaine que notre pays proclame haut et fort sans jamais les appliquer», a-t-il dénoncé dans une tribune.
Pour cet élu, «il est temps de reconnaître que la crise migratoire est mal gérée. Depuis plusieurs années, la Mauritanie est devenue un point de passage majeur pour les migrants en route vers l’Europe. L’axe saharien menant de la Libye à la Tunisie étant devenu trop dangereux, les passeurs ont redirigé leurs routes vers notre pays». Et de souligner, «cette réalité pose des défis importants en matière de gestion des flux migratoires. Mais la réponse des autorités ne peut pas être la répression brutale et les arrestations aveugles». Pour Khally Diallo, «la Mauritanie manque cruellement d’une politique migratoire claire et les décisions sont prises sous pression, qu’elle vienne de l’Union européenne, de l’Espagne ou de certaines campagnes médiatiques alimentées par des blogueurs arabophones».

Conduite par le Ministre Abdoulaye Diop, une forte délégation malienne a été reçue en audience le 27 mars 2025 par le président de la Mauritanie, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, sur la question des expulsions des étrangers
«Nous ne pouvons tolérer que l’État mauritanien gère cette situation au gré des émotions populaires, sacrifiant des vies humaines pour apaiser l’opinion. Un pays souverain et responsable doit avoir une stratégie digne et respectueuse des droits fondamentaux. Que les pouvoirs publics endossent leur rôle et assument leurs responsabilités…», a souhaité le député à l’Assemblée nationale de son pays. A noter que le Mali et la Mauritanie sont liés par une la Convention d’établissement et de circulation des personnes signée le 25 juillet 1963 à Nouakchott.
En tout cas, cette situation rappelle une fois de plus que la crise migratoire est «un défi multidimensionnel» qui nécessite des réponses nuancées et coordonnées de la part de tous les acteurs. Certes, il est difficile de reprocher à un État souverain la répression des flux illégaux. Mais, cela ne doit pas être non plus un prétexte pour se débarrasser des «étrangers» établis dans un pays pour diverses raisons. Comme le dit si bien Khally Diallo, «une approche globale, intégrant sécurité, développement et coopération internationale, est essentielle pour trouver des solutions durables à cette problématique complexe». Une piste de réflexion est ainsi balisée !
Moussa Bolly