La liste des morts liés à l’émigration clandestine continue de s’allonger. Le 22 septembre 2024, des pêcheurs du village de Yoff (une commune de Dakar, Sénégal) ont découvert une pirogue à la dérive, remplie de migrants morts (au moins 30 corps). La découverte a été faite à 70 kilomètres au large des côtes sénégalaises. Selon les informations diffusées par la presse locale, les dépouilles découvertes en état de décomposition avancée pourraient être celles de migrants en partance pour l’Europe. Une découverte qui intervenait 15 jours après le chavirement d’une pirogue à Mbour (Sénégal).
Comment freiner l’immigration clandestine ? Une équation à laquelle se heurtent encore les pays de départ et ceux qui sont privilégiés comme destination par les candidats à ce véritable saut dans l’inconnu. Ces dernières années, l’Union Européenne (UE) a presque tout tenté pour lutter contre le «fléau» à travers, entre autres, le renforcement du contrôle aux frontières, soutien accru et plus «efficace» au retour des migrants illégaux. Elle a aussi renforcé l’immigration légale de la main-d’œuvre et relativement amélioré le traitement des demandes d’asile.
C’est ainsi que, en avril 2024, le Parlement européen a conclu avec les gouvernements nationaux un nouveau «Pacte» sur l’immigration et l’asile pour réviser les règles de contrôle des personnes aux frontières extérieures de l’UE. Mais, visiblement, aucune stratégie ne semble avoir l’efficacité requise pour maîtriser le flux de la migration clandestine, vers l’Europe et les Etats-Unis notamment. Cela est compréhensible dans une certaine mesure. En effet, si on va du principe que les personnes migrent en quête d’une vie meilleure pour elles-mêmes ou pour les membres de leur famille, il sera très difficile de freiner la migration clandestine en provenance des pays subsahariens où la jeunesse a tout le mal du monde à s’affirmer, à s’exprimer, à s’épanouir, à réaliser ses ambitions.
Ce qui fait que les candidates et candidats nourrissent généralement cette conviction souvent fausse qu’il y va de leur destin, de leur réussite, de la réalisation de leurs ambitions. On ne peut que les comprendre en lisant le second livre du journaliste-écrivain, Oumar Bakary Doumbia. En effet, dans «Vilain gosse avalé par l’aventure», il peint un tableau très sombre de l’environnement socioéconomique et politique dans lequel les jeunes maliens ne cessent de sombrer. «Avec la dureté de la vie, les jeunes rasent les murs et sont au bord de l’effondrement. Désœuvrés, ils ne sont qu’à partir au prix de leur vie. Difficile de leur en vouloir car la majorité de ceux qui restent broie du noir ou noie ses soucis dans l’alcool et la drogue. Dans nos centres urbains, on ne compte plus le nombre de délinquants, alcooliques et de toxicomanes», écrit cet écrivain qui est lui-même un migrant qui a souffert avant de se trouver des attaches en France.
A ce stade, déplore-t-il, les jeunes n’écoutent presque personne car ils ne croient plus en rien si ce n’est que leur bonheur est ailleurs, «là où l’herbe est supposée être plus verte». Et cela même conscients que «Le ventre de mer», la Méditerranée notamment, est en train de devenir un immense cimetière au rythme des chavirements d’embarcations de fortune dans lesquelles ils s’entassent comme des sardines pour la périlleuse traversée vers l’Eldorado. Quand certains abandonnent leurs emplois pour l’aventure, comment retenir les chômeurs désœuvrés ? Ailleurs, en Afrique subsaharienne, rares sont les pays où la situation est tellement différente.
Face à ce constat, la menace constante de migration clandestine ne doit-elle pas être alors considérée comme un retour de manivelle que l’Occident, l’Europe notamment, prend en plein visage ? Certes qu’on ne saurait minimiser la responsabilité des élites africaines, des classes dirigeantes du continent dans le sous-développement de l’Afrique ! Cela d’autant plus qu’elles semblent avoir fait de la proclamation des indépendances une fin en soi. A quelques exceptions près (Modibo Kéita, Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Ahmed Sékou Touré…), nos dirigeants ne se sont jamais donnés les moyens de donner à la souveraineté nationale l’assise socioéconomique indispensable à sa consolidation. Ceux qui ont tenté de le faire, on été vite trahis par une certaine élite (militaire et civile) ayant privilégié ses intérêts à ceux de la nation.
N’empêche, les puissances occidentales ont aussi leur responsabilité dans le chaos socio-économique que nos Etats ont toujours du mal à circonscrire. Cela depuis la colonisation. En effet, comme le constate un panafricaniste, «les politiques coloniales ont entraîné la disparition de l’industrie africaine et ont créé une dépendance vis-à-vis des produits importés d’Europe. Si l’industrie locale avait été encouragée et cultivée par les puissances colonisatrices, l’Afrique serait probablement dans une bien meilleure situation économique et technologique aujourd’hui». Contrairement à ce que les colons et les néo-colonialistes nous ont mis dans la tête, l’Afrique disposait de structures économiques, sociales et politiques dynamiques avant l’arrivée des Européens sur le continent. Ils les ont gravement perturbées pour créer des richesses à leur profit. Sans compter que la mauvaise gouvernance, qui est le plus sérieux obstacle à l’émergence de nos pays, est un héritage politique et économique de la colonisation. Elle est encore combattue ou encouragée en fonction des intérêts des mêmes puissances.
Et nous savons tous que cette mauvaise gouvernance génère les gaspillages de toutes sortes, la mauvaise gestion des rares deniers publics depuis les indépendances. Cela explique aussi pourquoi nos Etats n’investissent pas hauteur de souhait dans l’Éducation (plus de 140 millions de jeunes Africains sont illettrés avec dépenses d’éducation dans des pays africains représentant moins de 50 dollars par an, contre plus de 11.000 dollars en France ou aux Etats-Unis) ; dans les autres services sociaux de base comme la Santé.
De cause à effet, on se retrouve dans la situation chaotique décrite par Oumar Bakary Doumbia et qui explique en partie cette détermination à braver tous les périls pour migrer en Europe ou aux USA. D’où la nécessité de ne pas diaboliser les migrants. Une attitude qui ne cesse d’ailleurs de favoriser la montée en puissance de l’Extrême droite dans les pays européens. Les migrants ont plutôt un énorme besoin d’assistance, de compréhension… d’une bonne dose d’humanisme ! Un regard humain et humaniste sur le fléau de la migration clandestine pourrait être l’une des meilleures réponses à lui apporter, une manière efficace de la gérer pour mieux la maîtriser !
Moussa Bolly