MALI : Nous sommes Tinzawaten

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Depuis quelques moments, les attaques ont repris au Mali par des groupes islamistes et les Touaregs indépendantistes de  Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-DPA, constitué des mouvements armés signataires de l’Accord de paix de 2015 avec Bamako). Du 25 au 27 juillet 2024, une bataille a eu lieu à Tinzawaten, dans ce  petit village de 3 000 âmes devenu un symbole de la  détermination du Mali à recouvrer sa souveraineté sur  l’ensemble de son territoire.

Tombés dans une embuscade lors d’une patrouille, un détachement de l’armée malienne et de ses supplétifs Russes sont massacrés par des groupes armés coalisés islamistes, indépendantistes et plusieurs agents occidentaux dont des Ukrainiens. Face à ce terrorisme barbare, le Mali a reçu des appuis de l’aviation du Burkina et de l’appui du Niger. Et, depuis, les terroristes sont acculés dans leurs derniers retranchements, surtout que l’Algérie a fini par fermer aussi sa frontière suite à la pression de Moscou.

Et comme pour conjurer une offensive majeure en cours de préparation par Bamako, déterminé à reprendre le caillou de Tinzawaten, le 17 septembre dernier les djihadistes de Al-Qaeda ont frappé au cœur de la capitale une école de gendarmerie et une aile de l’aéroport de Bamako où ils ont fait des dégâts importants. Le bilan serait de 50 à 70 morts même si tous les terroristes ont été soit neutralisés (tués) ou capturés.

Prise en otage depuis une décennie par des voyous, Tinzawaten et sa population sont le symbole du retour de l’État malien dans cette région où il avait été chassé depuis 2012. C’est aussi le symbole de la toute-puissance des trafiquants en tout genre maniant kalachnikovs et business au mépris de tout droit humain. Le but de cette chronique est de rendre hommage à tous ceux qui se battent dans ces contrées reculées​ et éculées pour que prévalent le droit, la justice, la solidarité et pour que vive cet idéal panafricain que le Mali a toujours incarné. Ce village, il faut le rappeler, est divisé en Tinzawaten Algérie et Tinzawaten Mali.

Si les enquêtes sont en cours pour comprendre le mode opératoire de ces deux attaques complexes, elles en disent long sur l’état des Groupes armées terroristes (GAT), qui bien qu’en débandade ont tenté de gâcher les célébrations du 22 septembre 2024, date de l’indépendance du Mali. Ces attaques lâches et barbares montrent que ces groupes bien que diminués et affaiblis ont encore des cellules dormantes et qui peuvent commettre des attaques désespérées. Le but de ces attaques est plutôt de déstabiliser la société malienne et de diviser les capacités de l’armée entre le Nord stratégique et les grandes villes du Sud.

Sauf que celle-ci est de plus alerte et consciente de ses responsabilités et sa montée en puissance n’est plus à discuter, les GAT même le reconnaissant et évitent les affrontements directs. D’où les attaques surprises et embuscades et beaucoup plus lâches les attentats terroristes. Elle fait bloc dans l’adversité derrière ses autorités et la mutualisation des moyens militaires avec l’AES leur inflige quotidiennement des dommages irréversibles.

La montée en puissance de l’armée malienne et ses choix stratégiques d’alignement tous azimuts autour de la Russie, de la Chine et de la Turquie font qu’elle restera longtemps la cible de l’OTAN et ses petites mains inavouables que constituent les groupes armés et terroristes. Les dernières attaques complexes de Tinzawaten sont à situer dans cette volonté d’externaliser le conflit, les pays occidentaux et l’Algérie ne cachant plus leur soutien à ces groupes dont le caractère terroriste ne fait plus de doute même pour ceux qui refusaient de voir la primauté de la dimension externe de ce qu’on a appelé la crise malienne.

Depuis, beaucoup d’eau  a coulé sous les ponts ! On a vu avec les atermoiements des groupes armés et les soutiens tacites de la Minusma pris plusieurs fois la main dans le sac avec son abandon des casernes et ses armes aux groupes rebelles Touaregs et leurs alliés djihadistes fin 2023. Ces événements qui ont conduit à la prise de Kidal par l’armée, en novembre 2013 une victoire dont on n’a toujours pas analysé toute la portée, ont aussi montré ce que nous avons toujours affirmé sur nos nombreuses interventions depuis 2012.

Les vecteurs aériens ont énormément contribué à la montée en puissance des FAMa race aux Groupes armés terroristes

Les liens poreux entre les groupes dits indépendantistes avec l’aile djihadiste, ces derniers s’étant coalisés une fois de plus en CSP (Cadre stratégique permanent) sur les conseils de leurs sponsors occidentaux et algériens. Tinzawaten à ce titre a montré au grand jour toutes les connexions souterraines de ce conflit aux relents multiples. Il a montré combien les peuples maliens, burkinabés et nigériens doivent rester vigilants et soutenir leurs autorités qui ont fait des choix audacieux et risqués.

Les ruptures avec la France et les recompositions des alliances avec la dénonciation des accords d’Alger de 2015 le 25 janvier 2024 accusant l’Algérie d’ingérence dans les affaires intérieures du pays et l’alignement du Mali sur les positions marocaines irritent le pouvoir de ​Abdelmadjid Tebboune (fraîchement réélu avec un score soviétique) qui craint désormais le retour du bâton. Et cela d’autant plus que la perte du dernier bastion de ces narco​-terroristes à Tinzawaten sonnera le glas de la puissance de l’Algérie dans cette région qui était devenue une zone de non droit par le truchement de son armée et des officiers du DRM dont Iyad Ag Ghali (chef jihadiste touareg malien) a toujours été un pion et les leaders de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad, une coalition de Touaregs indépendantistes opposé au pouvoir actuel) avec eux.

La reprise de Kidal a montré combien les relations étaient étroites entre les acteurs officiels de la Minusma, forces spéciales des pays de l’Otan, et les acteurs officieux, chefs de groupes armés jihadistes ou pas. C’est pour avoir bien compris ces linkages que les militaires qui ont pris le pouvoir dans les pays sahéliens ont décidé de sortir les armées étrangères de leurs territoires. Et ils savent que le risque est grand. Mais, rien ne les détournera de leur chemin désormais irréversible pour la conquête de leur souveraineté.

L’embuscade de Tinzawaten et les morts des partenaires Russes de l’armée que la presse occidentale continue à appeler Wagner a fini aussi de valider les choix des dirigeants de l’AES pour des partenaires qui, jusque-là leur ont assuré un soutien réel et en matériel qu’en discours comme on a pu le voir dans les tribunes des Nations unies.

En interne, Tinzawaten comme les dernières attaques terroristes de Bamako du 17 septembre 2024 ont montré au peuple malien et de l’AES que la bataille va être ardue et que ces GAT n’abandonneront pas de sitôt des avantages qu’ils tiraient de territoires qu’ils avaient dépecés par l’ultra violence et le massacre de populations civiles. Le retour de l’État même s’il se fait cahin-caha a le mérite de clarifier la situation d’un conflit qui n’est ni religieux ni ethnique faut-il le préciser. Il est intrinsèquement lié à l’irruption de groupes qui ont instrumentalisé des situations propres aux dynamiques sahéliennes pour chasser l’État central par le jihadisme et une soi-disant rébellion touarègue maintes fois ressuscitée en fonction des vicissitudes des puissances tutélaires Algérie, France et dans une moindre mesure USA…

Les recompositions en cours à l’échelle internationale avec l’éclatement devenu inéluctable du système des Nations unies où plus personne ne croit en sa charte seront une occasion unique pour les pays africains volontaristes pour arracher leur souveraineté en s’unissant contre les forces qui veulent les freiner ou les stopper.

Face à ces défis et risques de transformer le Sahel en nouvelle Ukraine, Tinzawaten commande d’aller avec doigté en fixant les responsabilités des grandes puissances mais aussi en se recentrant sur les enjeux internes dans la remobilisation du peuple et dans le traitement de ses demandes en termes de lutte contre la pauvreté, de soin de santé et d’éducation. Le Mali a rompu ses relations diplomatiques avec l’Ukraine et a dénoncé le comportement de cet État et de son ambassadeur à Dakar (Sénégal) qui a nommément reconnu (fait rare en diplomatie) l’implication de son pays dans l’embuscade qui a coûté la vie à plus d’une centaine de soldats malien et russes.

Cet événement a mis en exergue aussi comment prolifèrent dans les marges des États des groupes qui ne peuvent pas prospérer sans des soutiens d’un pays tiers d’où leur installation dans la frontière dont pour le Mali elles sont toutes poreuses et transnationales. Tinzawaten, ce petit village de rocailles partagé entre deux pays, a toujours été le dernier lien de retranchement de tous les groupes en débandade dans le grand Nord du Mali. Et le Mali est déterminé à reprendre ce territoire où il se prépare à reprendre le moindre centimètre, quitte à entrer en crise ouverte avec le puissant voisin. Ce dernier, pourtant allié de Moscou, est embourbé dans une stratégie de fuite en avant. Coincé au Sahel où elle n’est plus crainte depuis la création de l’AES, elle cherche des ouvertures avec Paris qui

vient de s’aligner sur la position de Rabat (Maroc) dans le conflit du

Sahara Occidental. Ce qui a le don de l’agacer sérieusement.

Au même moment, sa frontière avec la Libye aussi est gangrenée par les  tensions entre les deux clans qui contrôlent cet immense pays failli du fait de l’intervention des Occidentaux et la mort de Kadhafi en 2011. Et l’avancée des troupes de Khalifa Haftar, allié de Moscou, n’augure rien de bon pour l’Algérie sur son flanc Est.

Les Forces armées maliennes sont déterminées à défendre l’intégrité territoriale du Mali

En conclusion, malgré les attaques qui vont encore hélas se reproduire dans les pays de l’AES, les populations meurtries de ces Etats ont décidé de changer de cap et d’esquisser une autre stratégie en se basant sur leurs défis communs. Cela passe par défaire le narratif imposé depuis une décennie sur l’incapacité de ces États à se sécuriser par leurs propres moyens et leur faible intérêt pour les enjeux internationaux. Le Mali, en ouvrant le chemin de l’émancipation réelle et avec lui désormais le Niger et Burkina sait qu’il est très attendu par son peuple qui a fait trop de sacrifices et par tous les progressistes africains qui se prennent à rêver d’une revivification d’un projet d’union africaine cette fois ci véritable dans un contexte qui ouvre des perspectives intéressantes tant le monopole de l’Occident est ébranlé par ses guerres incertaines et destructrices et son double standard honnis en Ukraine et à Gaza…. L’AES est parti et on ne peut que leur souhaiter de garder le cap vaille que vaille et de se mettre au travail pour l’autre bataille celle du développement, la seule alternative pour donner de l’espoir à cet immense espace traumatisé par un terrorisme islamiste agonisant. En attendant, restons tous Tinzawaten pour plus de résilience, de vigilance et pour un réel sursaut national et panafricain !

Ibrahima Sidibé Pommier,

Politologue/Africaniste,

Québec 25 septembre 2024

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