DÉCÈS DE SOULEYMANE CISSÉ, CINÉASTE :​​L’Etalon du Yennenga perd l’un de ses plus talentueux jokers

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Il a porté le cinéma à bras le corps jusqu’à son dernier souffle. En effet, c’est après avoir animé une conférence de presse en fin de matinée pour présenter ses récentes distinctions  et se réjouir de l’honneur qui lui était fait de présider le jury de la catégorie «Long métrage» de l’édition 2025 du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO, du 22 février au 1er mars 2025 au Burkina Faso), que Souleymane Cissé a tiré sa révérence dans l’après-midi de ce mercredi 19 février 2025 à l’amorce de ses 85 ans (né le 21 avril 1940 à Bamako). Un génie, une légende, un passionné, un visionnaire, un baobab, un monstre sacré, une icône… du cinéma s’est ainsi éclipsé dans la totale discrétion. Mais, la bibliothèque demeure puisque l’héritable est faramineux et fabuleux.

Le Mali et l’Afrique pleurent Souleymane Cissé, maître incontesté du cinéma

Il y a de ces hommes que l’on croit immortels, tant leur influence est profonde et leur présence marquante. Ainsi, quelle n’a pas été la surprise des consoeurs et des confrères d’apprendre en fin d’après-midi de ce fatidique mercredi 19 février 2025 que Souleymane Cissé venait de s’éteindre en douce. Ils l’avaient quitté quelques heures seulement «bien portant» et en «forme» à la veille de voyager au Burkina Faso où devait présider le jury de la catégorie «Long métrage» de la 29e édition Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), prévue du 22 février au 1er mars 2025 dans la capitale du pays des Hommes intègres.

L’illustre disparu avait profité de cette conférence de presse pour présenter aux médias ses dernières distinctions glanées à travers le monde tout en leur promettant de les inviter à son retour de Ouaga à regarder son premier film réalisé alors qu’il était étudiant. Hélas ! L’homme propose, Dieu dispose. Solo n’aura plus cette opportunité ! Tout comme le jury «Long métrage» devra aussi se passer de son prestige, de son aura. Le réalisateur hors pair a été rattrapé par le destin en cette fin d’après-midi du 19 février 2025 alors qu’il gravissait le chemin vers ses 85 ans. On a mis du temps à croire à cet invraisemblable scénario, surtout pour les journalistes qui ont passé la matinée avec lui.

«Dans la vie, il arrive souvent que la ​réalité approche la fiction, si elle ne la dépasse. Souleymane Cissé a snobé les 11 autres mois de l’année. Il a choisi de partir en février et pas n’importe lequel, celui d’une année où le 7e Art fait son cinéma à Ouagadougou, selon un cycle biennal bien rodé. Et comme si tout cela ne suffisait pas, c’est lui que la direction du Fespaco avait choisi cette année pour présider le jury long métrage, le cœur même du festival», a souligné le doyen Seydou Sissouma, un estimé confrère et membre de la Haute Autorité de la Communication du Mali (HAC).

Jusqu’aux ultimes instants de sa vie, Souleymane Cissé est resté un réalisateur engagé, soucieux de l’avenir et du devenir du cinéma au Mali. En effet, il lui a consacré une grande partie de la conférence de presse animée quelques heures seulement avant de s’éclipser définitivement de l’écran de la vie. Au cours de ce qui restera dans la mémoire collective comme sa dernière apparition publique, l’icône du cinéma africain a invité «les autorités maliennes à investir dans la promotion et le développement du cinéma malien». Et de souhaiter, «en plus de la promotion de la production cinématographique que les autorités prennent toutes les dispositions pour doter le pays de salles de projection dignes de nom».
«Au Mali, on est debout depuis combien d’années pour le cinéma, mais les autorités n’en prennent pas compte et c’est dommage. Je demande à la jeunesse de se lever et de faire tout pour que son cinéma puisse exister», a-t-il souhaité. «Comme cette année a été déclarée celle de la culture, nous voulons qu’on se retourne vers le cinéma. Qu’on regarde le cinéma, comment l’aider… La jeunesse ne doit pas se décourager. Ici, c’est difficile de comprendre l’art cinématographique. Comme cette année a été déclarée celle de la culture, nous voulons qu’on se retourne vers le cinéma. Qu’on regarde le cinéma, comment l’aider», avait espéré le monstre sacré du cinéma, quelques minutes avant de tirer sa révérence.

Né en 1940 à Bamako, Solo Cissé s’est vite affirmé comme l’un des plus grands cinéastes de l’Afrique. Réalisateur de renommée internationale, son brillant parcours est illustré par «une œuvre cinématographique inestimable qui a marqué l’histoire du septième art tant sur le continent qu’à l’échelle mondiale». Des œuvres qui ont transcendé les frontières car marquées par son enracinement culturel et des réflexions profondes sur les transformations sociales.

Un élogieux palmarès à la hauteur de l’engagement du talentueux cinéaste

Le cinéaste a un palmarès très fourni avec, entre autres, l’Étalon de Yennenga au du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) et Montgolfière d’or au Festival des trois continents avec «Baara» (le travail) en 1979 ;   Étalon de Yennenga au Fespaco et «Tanit d’or» aux Journées cinématographiques de Carthage (Tunisie) avec «Finyè» (le vent) en 1983 ; «Prix spécial du Jury» au Festival de Cannes (France) pour «Yeelen» (La Lumière) en 1987 ; lauréat du «Grand Prix Hommage» au 7e Festival international du Film Black de Montréal (Canada) en 2011. A travers cette distinction spéciale, le regretté Souleymane Cissé a été le premier cinéaste africain à être récompensé au prestigieux festival de Cannes.

En dehors du Fespaco et de Cannes, le «Silicon Valley African Film Festival» de San José (Etats-Unis) lui arendu hommage en octobre 2024 avec le prix de «Icône Culturelle» remis par le réalisateur nigérien Chike Nwoffiah (fondateur du festival SVAFF, cinéaste et consultant artistique nigérian…). Le 15 février 2025, la mission médicale «Sunu Reew» (notre pays en wolof), lui a aussi octroyé un prix honorifique à Banjul, en Gambie. A noter aussi que, depuis 1997, Souleymane Cissé préside l’Union des créateurs et entrepreneurs du cinéma et de l’audiovisuel de l’Afrique de l’ouest (UCECAO). Il était Commandeur de l’Ordre national du mérite du Mali depuis le 1er janvier 2006.

Souleymane Cissé, l’icône du cinéma africain, s’est éclipsé sur la pointe des pieds

A l’annonce de sa disparition, les hommages n’ont pas cessé d’inonder les réseaux sociaux pour louer le talent de ce «Grand baobab du cinéma malien et d’Afrique», «un pionnier du 7e art africain», dont «l’œuvre a marqué des générations»… Ce qui se comprend aisé car, comme nous l’a si bien rappelé le jeune Yéli Mady Konaté, «Souleymane Cissé n’était pas seulement un pionnier du cinéma africain, mais aussi un mentor, un père bienveillant. Son départ laisse un vide immense dans nos cœurs et dans le monde de l’art…».

Pour le doyen Seydou Sissouma, «l’Etalon du Yennenga a perdu un de ses prestigieux Chevaliers. Koro Solo savait tout faire faire ou dire à la caméra. Il s’en est servi comme d’un miroir pour montrer à son pays et à l’Afrique ses forces et ses tares». A ce titre, a rappelé cet éminent journaliste, «Finyè» (Le Vent) restera un film-culte. «Au monde, Souleymane Cissé a fait la preuve que la caméra tourne pour tout le monde. La force des images et la puissance du message de Yeelen (la lumière) ont ébloui le Festival de Cannes, s’adjugeant au passage le deuxième Prix derrière la Palme d’Or», a témoigné M. Sissouma. Et de conclure en rappelant, «le cinéaste était exigeant dans sa quête permanente des standards les plus élevés. L’homme avait du tempérament (un euphémisme). Ce qui lui permettait de dissimuler une sensibilité à fleur de peau. Souleymane Cissé était un bloc de granit, entier. Nous l’aimions et l’admirions sans doute aussi pour son intransigeance et ses colères».

Vertueux, doté d’une exceptionnelle force de caractère, Souleymane Cissé est toujours resté humble, modeste et profondément humain malgré sa renommée internationale, ses immenses succès, les lauriers qui ont jalonné sa brillante carrière jusque dans les ultimes moments de sa vie bien remplie. Ce mercredi 19 février 2025, a rappelé un jeune professionnel du cinéma, «une lumière s’est éteinte, celle qui rayonnait du Mali à travers le continent, le monde du cinéma en général. Cette passion tu nous l’a transmis à la jeunesse africaine et nous vous exprimons notre profonde gratitude, le cœur serré, mais fière d’être des héritiers. Tu es parti, tes œuvres restent pour nous des enseignants».

C’est dire que Solo s’en est allé ! Mais, la bibliothèque ne brûlera pas pour autant car, comme le reconnaissent de nombreux critiques cinéma, «son héritage cinématographique restera à jamais gravé dans les mémoires» pour éclairer les jeunes générations de cinéastes.

Moussa Bolly

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