Le nombre de 65 femmes nobélisées est à comparer aux 895 hommes récompensés et aux 30 récompenses pour 27 organisations différentes. Des femmes ont été notablement lésées dans l’attribution des prix Nobel, générant parfois de grandes controverses lorsqu’elles ont été écartées. Durant les cent premières années du prix Nobel, on ne trouve que 4 % de lauréates une fois les organisations écartées, soit près de 3 % en sciences et moins de 10 % en moyenne pour la littérature et pour la paix.
Les premières dizaines d’années de remise du prix ne voient donc que peu de femmes proposées et encore moins de lauréates. Avec le temps, la quantité de femmes ayant accès aux hautes études et au matériel adéquat s’accroît, mais la proportion de lauréates demeure pourtant sans commune mesure avec la proportion de femmes scientifiques. Comme on peut le constater, la misogynie, voire la discrimination à l’égard de la Femme est beaucoup plus dans les réflexes que dans la race.

Fatoumata Kébé, un jeune talent déterminé a laissé ses empreintes dans l’astronomie moderne
« PRIX SCIENTIFIQUES : Les Femmes reléguées au hors-champ d’honneur » ! C’était le titre d’un article du quotidien français « Libération » du mardi 7 octobre 2025. Cela nous renvoie aux stéréotypes dans lesquels l’Afrique est enfermée depuis la nuit des temps, par ceux qui pensent qu’il n’y a de civilisations qu’en fonctions de leurs normes. Des stéréotypes qui s’articulent autour du système colonial et de son idéologie basés sur un certain déterminisme, ethnocentrisme et sur un fort racisme. Le pire, c’est que tout cela se retrouve le plus souvent dans les manuels scolaires de l’époque. Ainsi, les Africains sont le plus souvent passés pour des « sauvages qui n’accordent aucun respect ni aucune valeur à la Femme » ! Et pourtant, en lisant l’article de nos confrères de « Libé », on se rend compte qu’elle (la femme) a subi et continue à subir (même à un degré moindre) toutes les formes de discrimination et de stigmatisation dans leur monde « civilisé ».
Avec un palmarès encore ultra-masculin, les « prix Nobel » s’inscrivent généralement dans « une longue histoire de marginalisation » des chercheuses. « Spoliées, dénigrées et évincées des récompenses, elles (femmes) ne sont réhabilitées que depuis une vingtaine d’années », a rappelé « Libération » dans un article publié le 7 octobre 2025. insi, 20 femmes seulement figurent dans les 607 lauréats d’un Nobel scientifique, dont douze sur les 111 prix décernés depuis 2004.
Selon diverses sources concordantes, Marie Curie est la première femme à avoir reçu un « prix Nobel » et elle est la seule à avoir décroché cette prestigieuse récompense dans deux disciplines scientifiques différentes : le « prix Nobel de Physique » en 1903 pour ses travaux sur la radioactivité et le « prix Nobel de Chimie » en 1911 pour ses recherches sur le radium. C’est aussi la première femme directrice d’un laboratoire universitaire en France et la première femme professeur à la Sorbonne. Ce qui en fait « une personnalité d’exception » et « un modèle pour toutes celles qui souhaitent embrasser une carrière scientifique ».
Avec 4 % de lauréates une fois les organisations écartées au cours des cent premières années d’existence de la distinction, la faible proportion de femmes ayant reçu un « prix Nobel » révèle le fossé des genres existant dans les domaines d’attribution du prix. Les femmes sont plus fréquemment récompensées pour des actions en faveur de la paix et en littérature. N’empêche que, même dans ces deux domaines, leur nombre est toujours très inférieur à celui des hommes.
Plusieurs raisons sont pointées du doigt et elles sont différentes selon les périodes historiques. Tantôt l’inaccessibilité du domaine scientifique pour les femmes, puis le contexte de la guerre froide, le manque de réseaux de pairs, de propositions de femmes ou un entre-soi trop grand entre femmes et hommes dans tous les domaines récompensés par le prix. Un effort notable a néanmoins été réalisé par les comités Nobel depuis les années 1990 pour corriger les multiples biais dont ils ont été accusés au fil des années.
La première cause est, tout au moins pour la période la plus ancienne, l’impossibilité presque totale faite aux femmes d’entrer dans une carrière scientifique de haut niveau. Cela a l’effet logique de réduire le nombre de découvertes significatives réalisées par les femmes. La deuxième cause peut être la tendance de la société à empêcher les femmes d’accéder aux situations et aux postes à responsabilité ouvrant la route à une désignation. Certains auteurs affirment qu’un biais de genre (une attitude ou une opinion inconsciente qui favorise ou défavorise un genre, souvent basé sur des stéréotypes culturels et sociaux) s’est établi aussi durant la guerre froide : de 1948 à 1962, de nombreuses femmes sont proposées, mais aucune retenue pour aucun des prix ; une conséquence de « l’attitude macho » du jury de l’époque qui considère comme nécessaire de promouvoir des figures « fortes », en l’occurrence des
hommes, dans un contexte guerrier.

En 2011, trois femmes reçoivent conjointement le Prix Nobel de la Paix-(de gauche à droite), Tawakkol Karman, Leymah Gbowee et Ellen Johnson Sirleaf
La troisième cause expliquant le faible nombre de lauréates pourrait être expliquée en partie par le manque de propositions des femmes aux prix. Plusieurs raisons sont avancées : elles manqueraient du réseau nécessaire pour se faire proposer, les hommes se sélectionnant entre eux et les femmes ne se cooptant pas ou encore que les femmes sont plus promptes à créditer leurs collègues (et à remercier d’autres femmes pour les avoir encouragées) là où les hommes le font peu ou moins. D’où une réputation moins grande pour les femmes à compétences égales.
Difficile de concilier vie conjugale et carrière scientifique
Une quatrième cause peut être l’existence d’une disproportion très forte des genres dans certains domaines scientifiques. La proportion de femmes dans les carrières de physiciens ou d’économistes, qui sont des sujets pour lesquels existe un prix, étant faible, alors que la proportion des femmes dans d’autres domaines de recherche non récompensés est bien plus élevée. Dans un autre registre, une statistique indicative du statut marital des lauréates jusqu’en 2000 montre que sur 29 lauréates à l’époque, neuf ne sont pas mariées ou sont divorcées et sept sont sans enfant. Mise en parallèle avec le rôle sociétal d’éducation des enfants dévolu classiquement aux femmes, cette statistique montre que la conciliation entre un parcours menant à un prix Nobel et une vie de famille est encore trop complexe.
Les années 2000 marquent une évolution notable de cette situation. Ainsi, en 2009, un record est atteint lorsque cinq femmes sont récompensées par le prix Nobel sur neuf récipiendaires au total. En 2016, est dressé le constat d’une proportion de 9,79 % de lauréates depuis 2000, soit « une tendance nouvelle en termes relatifs, avec plus qu’un doublement du taux de féminisation du prix Nobel ». En 2018, la part de femmes distinguées depuis l’origine s’élève ainsi à un peu plus de 5 %.
Au total, entre 2001 et 2019, 23 femmes sont récompensées. Néanmoins, une étude statistique de 2019 conclut (concernant le champ scientifique des Nobel) que l’inégale répartition des prix par sexe s’explique à 96 % de probabilité par la subsistance d’un « biais de genre » en défaveur des femmes. En sciences et en technique, les femmes ont longtemps été écartées des études et des moyens de poursuivre des recherches.

Fatoumata Kébé, l’astrophysicienne qui est une référence pour sa génération
Sous-représentées en physique, en chimie et en médecine, le peu de prix Nobel qui leur ont été attribués est le reflet de cette mise à l’écart qui peut être mis en parallèle avec les mathématiques, où la « Médaille Fields » n’a récompensé que deux mathématiciennes (Maryam Mirzakhani pour la première fois en 2014[a et Maryna Viazovska en 2022) ; l’architecture où seules six femmes ont reçu le « Prix Pritzker » depuis sa création en 1979 ; l’ingénierie où seule une femme a été récompensée du « Prix Millennium Technology » en 2016 ; l’informatique où le « Prix Turing » a été décerné trois fois à des femmes depuis 1996.
Durant la première partie du 20e siècle en Europe, alors qu’elles commencent à poursuivre des études, les femmes se voient refuser l’entrée aux laboratoires, aux hautes études ou aux chaires qui leur donneraient accès au matériel nécessaire à leurs recherches. Les parcours sont semés d’embûches et l’un des exemples principaux est celui de Marie Curie qui, bien que pionnière et première femme lauréate d’un prix Nobel, est écartée de l’Académie des sciences françaises par sexisme. Tout comme sa fille (aussi nobélisée) le sera des années plus tard.
Des portes d’accès fermées par des lois discriminatoires
Aux États-Unis, ce sont les lois anti-népotisme, interdisant aux proches d’exercer dans les mêmes départements de recherche, qui empêchent de fait une femme de travailler dans le même laboratoire que son mari. Ces lois ferment les portes des institutions à de multiples femmes scientifiques de l’époque. En effet, en général mariées à d’autres scientifiques, elles doivent abandonner leur carrière, travailler bénévolement ou devenir assistante de laboratoire et effectuer des recherches « en perruque » à côté de leurs autres activités.

Feue Wangari Muta Maathai, née Wangarĩ Muta et surnommée la femme qui plantait des arbres, Prix Nobel de la Paix en 2004
De manière plus générale, même si l’amélioration de l’accessibilité du domaine est significative en sciences, il n’en demeure pas moins qu’en 2003 aux États-Unis, seulement 22 % des licenciés es-sciences et 18 % des Docteurs en physique sont des femmes, alors même qu’autant de garçons que de filles terminent leurs études secondaires avec une spécialisation en sciences physiques. Un nombre important de femmes délaissent donc en cours de route leurs études de physique, n’achèvent pas leur doctorat ou changent d’intention d’orientation de fin d’études, laissant de côté leur plan de carrière dans la recherche. Pointé du doigt encore une fois, le milieu est peu favorable aux femmes : moins de gratifications à succès égal qu’un homme, salaire moindre, avertissements plutôt qu’encouragements avant le cursus, peu ou pas d’encouragements pendant, maternité attendue socialement comme à gérer par soi-même.

L’Iranienne Shirin Ebadi, Prix Nobel de la Paix en 2003
« Mais les choses commencent à changer, puisque nous sommes deux à obtenir un Nobel scientifique cette année ! », se félicitait Donna Strickland, une physicienne canadienne pionnière dans le domaine des lasers, en 2018. Cette année-là (2018), elle est devenue la première femme à recevoir le prix Nobel de physique depuis plus de 50 ans. « On ne peut que s’en réjouir », répond Jessica Wade, de l’Imperial College de Londres. Il reste cependant beaucoup à faire pour accroître la diversité du genre (et d’origine) des prix scientifiques. « La physicienne britannique a ainsi créé 340 biographies de femmes sur Wikipédia cette année pour leur donner de la notoriété. Y a-t-il une future Nobel dans la liste ? Si c’est le cas, elle n’aura peut-être pas à subir l’anonymat vécu par Donna Strickland », se réjouit Jessica Wade.
En 2004, l’Iranienne Shirin Ebadi, après avoir appris la désignation de Wangari Maathai, a lancé (avec Jody Williams) une initiative entre lauréates du prix Nobel de la paix qui mènera à la fondation de la « Nobel Women’s Initiative » en 2006, afin d’effectuer des conférences communes. La journaliste Annick Jean relève que leur différence avec les prix Nobel remis aux hommes vient du fait que le prix est pour ces femmes un commencement et non l’aboutissement de leur action, montrant que le monde leur faisait confiance pour poursuivre leur travail de pacifisme.
Moussa Bolly
diasporaction.fr

