Savoir raison garder pour que l’impasse n’aboutisse pas à un autre tunnel

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Au Mali, on s’achemine vers un bras de fer entre le pouvoir en place et la rue. À l’image de celui qui a opposé feu Ibrahim Boubacar Kéita dit IBK et le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) symboliquement affilié au Boulevard de l’Indépendance.  Et visiblement, la crainte s’est installée dans le camp de la transition dont les dirigeants ont tout fait pour empêcher un meeting (le 4 mai 2025 au Palais de la Culture Amadou Hampâté Bâ) et une conférence de presse (le 5 mai à la Maison de la presse de Bamako) des partis politiques.

Moussa Bolly

Une impression renforcée par la suspension des activités des partis et mouvements politiques le 7 mai 2025. Le point d’achoppement ? La volonté des autorités de la transition de dissoudre les partis politiques, d’accorder au président de la transition le statut de président de la République avec un mandat de 5 ans renouvelable… Finalement, La décision de dissoudre tous les partis politiques au Mali a été annoncée le 13 mai 2025, par un décret présidentiel. Un acte politique qui met entre parenthèse les maigres acquis de la démocratie malienne.

Les participants aux consultations des forces «téléguidées», pardon des «forces vives de la nation» triées sur le volet par le régime (28-29 avril 2025) avaient sans doute à cœur «d’harmoniser» les mandats des leaders de la Confédération de l’Alliance des États du Sahel (AES). En effet, le Capitaine Ibrahim Traoré (Burkina Faso) et le Général Abdourahamane Tiani (Niger) ont respectivement prolongé leur pouvoir en mai 2024 et mars 2025. Sauf que dans ces deux pays, la constitution a été suspendue avec le putsch. Ce qui n’est pas le cas au Mali où une nouvelle constitution a même été adoptée par référendum (18 juin 2023) et promulguée le 22 juillet 2023. Sans compter que notre pays n’excelle pas dans la culture du suivisme.

Deux tendances s’affrontent et chacun revendique sa lutte au nom du… Peuple ! Mais, de quel peuple ? «Le vrai peuple, c’est cette majorité silencieuse qui est menacée par certains individus malintentionnés», définit un compatriote sur les réseaux sociaux. En réalité, le vrai peuple est indifférent au brouhaha. Cela d’autant plus que, comme c’est généralement le cas, ses vraies préoccupations et les défis réels du pays sont une nouvelle fois occultés par le débat politique.

En effet, comme l’a si pertinemment écrit et défendu sur les réseaux sociaux un jeune activiste engagé dans l’humanitaire, «le vrai problème n’est pas lié à la démocratie ou à la dictature. Le vrai problème est que les familles ont faim ; les citoyens sont malades, ils ont peur, ils ont perdu des boulots et des entreprises… Les Maliens sont dans une totale impasse socioéconomique, en plein désarroi». C’est ce qui devait aujourd’hui préoccuper aussi bien les militaires que la classe politique. Mais, au lieu de penser à relever ces défis et à résoudre les préoccupations du Malien lambda, chacun se bat pour préserver ses intérêts, ses prérogatives.

Nous ne sommes ni pro ni anti-transition. Mais, comment soutenir une manœuvre visant à permettre à des Officiers de se maintenir au pouvoir cinq ans (un mandat constitutionnel) après le coup d’État d’août 2020 ? Comment soutenir des putschistes qui avaient juré de remettre le pays sur les rails pour rapidement retourner dans les casernes et qui manœuvrent aujourd’hui à ne pas céder un pouce de ce pouvoir acquis pas les armes ? Peut-on gober leur volte-face dans un pays où le respect de la parole donnée a toujours été d’une importance capitale depuis la nuit des temps ? La relecture de la charte des partis (loi N°05-047/ du 18 août 2005 portant charte des partis politiques), n’est pas une mauvaise chose en soi. Encore, faudrait-il que cela se fasse dans la règle de l’art, donc pas au mépris des dispositions constitutionnelles. 

«La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus au suffrage universel direct ou indirect ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice», stipule l’article 37 de la Constitution du 22 juillet 2023. Comme l’a défendu un jeune cadre sur les réseaux sociaux, «le Mali Kura que nous voulons tous, doit reposer sur des institutions fortes et des lois justes. Et qui dit lois justes, dit aussi respect de la constitution, socle de tout État». Et les autorités de la transition doivent être une référence dans le respect de cette Constitution pour laquelle tant d’efforts ont été consentis ; tant de défis (sécuritaires notamment) affrontés.

On peut comprendre que la tâche s’est révélée plus compliquée que prévu avec toutes ces réformes indispensables à une bonne refondation de l’État. Mais, même là, il faut faire preuve d’humilité et revenir aux forces vives (les vraies) pour leur expliquer que, dans l’intérêt général, il est indispensable de prendre encore quelques mois ou quelques années pour parachever la mission. Nous ne voyons pas l’utilité d’un bras de fer à partir du moment où la classe politique, à l’image du peuple, avait fait preuve d’une belle résilience depuis les événements du 18 août 2020. Et même quand ses activités ont été suspendues (du 10 avril au 10 juillet 2024), elle a revendiqué le respect de ses droits sans sombrer dans une logique de confrontation. La meilleure façon de revenir sur leur promesse sans perdre la face était une prolongation consensuelle de la transition sur la base d’objectifs clairs pour tout le monde.

La classe politique n’est pas non plus exempte de reproches dans cette disparition forcée des partis qui fait planer des nuages sombres sur la démocratie. En effet, est-il raisonnable de blâmer le vent pour le désordre qu’il a causé alors que c’est vous qui avez sciemment ouvert la fenêtre ? Pas du tout ! Nous sommes ainsi tentés d’écrire que c’est la faute de la classe politique tout ce qui arrive au Mali depuis 2012. Elle a fait de la démocratie un moyen de se réaliser soi-même aux dépens des intérêts généraux en perpétuant les maux que ce système politique est censé déraciner dans la gouvernance du pays. Les vrais défis du pays, les préoccupations réelles des Maliens ont été le cadet des soucis de nos démocrates depuis 1991.

Selon l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, «faire de la politique, c’est sentir le pays, c’est être avec les gens». Son président, feu Amadou Toumani Touré dit ATT disait que «faire la politique, c’est prendre en charge les préoccupations du peuple» ! Malheureusement, la démocratie n’a abouti à rien de tout cela. Aussitôt divisés une fois la victoire acquise sur la dictature, nos démocrates ont rivalisé dans tout sauf une gouvernance vertueuse du pays.  Les clans se sont rapidement constitués autour du partage du gâteau qu’est devenu le pays. La démocratie a vite perdu ses vertus.

Peut-on parler de démocratie lorsqu’on paye les gens pour qu’ils aillent voter pour son candidat ? Comment expliquer que, de 1991 à ce jour, certains partis n’ont jamais changé de président ? Lorsque des partis s’associent pour chasser un président élu, où est la démocratie ? «Lorsque les hommes politiques chassent un régime démocratique, ils doivent avoir la décence de se taire et d’observer les choses… Tout le monde voit la réalité aujourd’hui», pense un professeur du secondaire.

Comme a si bien réagi un jeune frère aujourd’hui très engagé dans l’humanitaire après avoir été un militant défenseur de la démocratie, ce qui se passe ces derniers mois dans notre pays «prouve à suffisance l’incohérence, l’incompétence et la trahison de la classe politique vis-à-vis du peuple». En effet, pour lui et beaucoup d’entre nous, «si nous assistons à ce bras de fer aujourd’hui, c’est parce que le peuple ne croit plus à la démocratie» qui a été «plus destructive chez nous que constructive» en cultivant la gabegie, le népotisme, la corruption, la délinquance financière… En conséquence, conclut le jeune frère, «le Malien regarde aujourd’hui la démocratie avec un œil désespéré et de mépris. Chez nous, la démocratie a été synonyme de partage de gâteaux au sommet, de mensonge et de transhumance politique…» !

La démocratie est devenue un leurre dans notre pays où la politique est devenue un métier pour s’épanouir sur le plan socio-économique, une profession pour réaliser des ambitions personnelles. Et naturellement, le parti est une entreprise au point que les «GIE» (Groupement d’intérêt économique) politiques sont les plus nombreux dans la classe politique malienne.

Nous devons pourtant tous savoir raison garder. Au moment où nous percevions tous une lueur d’espoir de voir le bout du tunnel, nous devons éviter de créer les conditions nourrissant les vieux démons de la division. Ceux qui se disent «défenseurs de la transition» ne sont en fait que de parfaits opportunistes dont le soutien n’est jamais gratuit. Cette situation de confrontation est du pain béni pour eux, car, comme l’a si bien rappelé un confrère sur les réseaux sociaux, «au Mali, les divisions, les conflits et les antagonismes profitent à des personnes qui en tirent leur subsistance. Tant que les Maliens sont dos à dos, ils profitent de la situation.  Ce qui laisse penser que cela ne cessera jamais». Ce serait donc faire preuve d’une grande naïveté que de croire à la sincérité du soutien de ces girouettes tirées par leurs intérêts financiers et matériels.

Ceux qui œuvrent à opposer les Maliens (en manipulant dans l’ombre des jeunes dont la seule conviction est ce qu’ils gagnent financièrement et matériellement dans la violence) ont leur propre agenda qui n’est ni celui du Général d’Armée Assimi Goïta, ni celui des partis politiques, ni celui du peuple malien. Un agenda consensuel de la transition s’impose plus que jamais pour éviter une fin de transition houleuse qui risque de nous ramener à la case-départ en annihilant cette belle résilience dont le peuple a fait montre au prix de moult sacrifices socioéconomiques.

Nous sommes parfaitement d’accord avec ce jeune intellectuel malien quand il appelle à la raison en rappelant que «jamais le tissu social au Mali n’a été aussi fragilisé ! Faisons attention et préservons surtout nos liens car les hommes passent, mais le pays reste… Privilégions l’union dans la diversité». Ce pays a été sérieusement éprouvé par la division. Le consensus, le compromis politique, la cohésion sociale, la paix, l’unité, l’union… Telles sont aujourd’hui les conditions sine qua non pour conclure en beauté cette transition. Si les dirigeants doivent prendre l’initiative, chacun doit y mettre du sien !

Moussa Bolly

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