«L’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Elle est plus verte là
où elle est arrosée» ! Cette citation de R. Pulghum sur la
motivation refl ète malheureusement l’état d’âme de la
jeunesse africaine, notamment ceux qui continuent à braver
les périls du désert et des mers comme la Méditerranée
en quête d’un improbable Eldorado leur permettant de
réaliser leur rêve de bien-être, de bonheur… Ce qui fait que
le décompte macabre est loin d’être terminé car rares sont
les semaines qui passent sans qu’un navire de fortune ne
chavire quelque part dans un océan, notamment Atlantique
ou la Méditerranée.
Ainsi, en début juillet 2024, la dangereuse traversée au large
des côtes de l’Afrique de l’ouest, a coûté la vie à près de 90
personnes qui cherchaient à gagner l’Europe. Elles n’ont pas
atteint la côte opposée puisque leur navire (gros bateau
de pêche traditionnel) a chaviré. Des dizaines d’autres
passagers étaient portées disparues. Un drame de plus qui
rallonge la série noire déjà assez nourrie de cadavres des
forces vives de nos Etats. Quelques jours après, un autre
navire, qui suivait la route de l’Atlantique ouest, a chaviré près
de Nouakchott (Mauritanie) causant la mort d’au moins 15
personnes et de nombreux autres passagers étant toujours
portés disparus.
Ces derniers mois, le nombre de personnes quittant les pays
d’Afrique du nord et de l’ouest n’a cessé d’augmenter. De juin
2023 à juillet 2024, plus de 76 bateaux avec environ 6 130
survivants ont débarqué en Mauritanie, tandis qu’environ 190
ont péri en mer avant les deux dernières tragédies. Selon
l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), rien
que du 1er janvier au 15 juillet 2024, plus de 19 700 migrants
sont arrivés irrégulièrement aux îles Canaries en empruntant
cette route. En 2023, à la même période, 7 590 migrants
avaient été enregistrés, soit une augmentation de 160 %.
Plus de 5 000 personnes sont mortes en essayant de
rejoindre l’Espagne par la mer sur les cinq premiers mois de
l’année, soit 33 morts par jour, selon «Caminando Fronteras»,
une ONG espagnole. Il s’agit du nombre de décès quotidiens
le plus élevé depuis que l’ONG a commencé à collecter des
données en 2007. Comme l’a souligné l’Agence des Nations
unies pour les Réfugiés (HCR), chaque nouveau naufrage est
«une indication claire du désespoir auquel les migrants et les
réfugiés continuent de faire face».
«Nous constatons que ces déplacements sont le fait de
personnes extrêmement vulnérables, désespérées, dont le
désespoir et la vulnérabilité sont parfois exploités par des
passeurs, des trafi quants ou d’autres personnes», a déploré
un porte-parole du HCR. «Les pays que certains jeunes
veulent aller rejoindre sont eux-mêmes en crise ou en début
de crise. L’avenir du monde est en Afrique et vous, les jeunes,
vous devez en être conscients», a déclaré Ousmane Sonko, le
Premier ministre sénégalais lors d’un discours à l’université
Gaston Berger de Saint-Louis diffusé sur sa page Facebook.
Et d’ajouter, «le seul continent qui a encore une marge de
progression et de croissance importante, c’est l’Afrique».
C’est un aveu d’impuissance qui est sans doute de la chimère
pour une jeunesse qui ne croit plus aux discours politiques
et qui exige désormais des actes et des actions politiques
concrets en leur faveur. Ce n’est pas un discours politique
qui va retenir ceux qui sont déterminés à partir parce que
convaincus que c’est le passage obligé pour réaliser leurs
rêve. «Un énième naufrage s’est passé au large de nos côtes
et qui aurait coûté la vie à beaucoup de jeunes». Ce n’est pas
de gaieté de cœur ou par méconnaissance du péril encouru
que ces jeunes se jettent dans cette aventure incertaine. En
effet, ils savent pertinemment que les routes de la migration
sont périlleuses. Mais, pourquoi prennent-ils alors ce risque
en embarquant sur des bateaux surchargés ?
Cela symbolise le désespoir, la déception, le désenchantement,
le dépit, la désillusion… d’une jeunesse éternellement
confrontée à des défi s comme l’accès à l’emploi et à la
formation professionnelle, l’entrepreneuriat… Ainsi, comme
l’a si bien rappelé un socio-économiste dans notre entretien
sur le sujet, la combinaison d’un taux de chômage élevé, du
sous-emploi et de la pauvreté s’ajoute, également, un accès
insuffi sant aux services sociaux de base (eau, éducation et
la santé) ainsi qu’une extrême vulnérabilité aux confl its, à la
violence et au dérèglement climatique.
Cet entêtement de nos bras valides à braver les dangers est en
partie lié à l’incapacité de nos décideurs politiques à relever
ces défi s pour créer les conditions de leur épanouissement,
de la réalisation de leurs rêves. Quand ils sont confrontés
au manque de perspective dans leurs pays, les jeunes ne
peuvent pas s’empêcher de croire que l’herbe est plus verte
ailleurs, surtout quand ils voient toute les réalisations que
leurs aînés ou camarades d’âges qui ont réussi à migrer sous
d’autres cieux.
A leur décharge, ce n’est pas de leur faute sur l’herbe n’est
plus verte sous leurs pieds. C’est plutôt le manque de vision et
de courage des décideurs politiques de nos pays. Comment
convaincre les jeunes à rester alors que nous n’avons rien
à leur offrir que de beaux discours creux, démagogiques
? Combien de jeunes, quelles soient leurs compétences
avérées et leur intégrité, peuvent décrocher ici un emploi
digne de leur niveau sans être né avec une cuillère en or
dans la bouche, sans être pistonné ou avoir des protecteurs
qui ont des bras suffi samment longs ? Même ceux qui ont
le courage de prendre leur destin en main en s’investissant
dans l’entrepreneuriat sont volontairement écrasés par le
système.
Privés d’un réel soutien institutionnel, ils sont livrés aux
vautours de la République qui leur mettent les bâtons dans
les roues à tous les niveaux (démarches administratives,
prêts bancaires, accès aux marchés publics…). Combien de
jeunes à la tête bien faite et animés d’une conviction forte ont
quitté l’extérieur, avec la forte ambition d’entreprendre pour
s’épanouir et contribuer à l’émergence de leurs pays, mais
qui sont aujourd’hui dépressifs ou sont tout simplement
retournés d’où ils ont réussi pour fuir l’enfer du bercail ?
Comme nous le disons le plus souvent, l’injustice est le fl éau
qui détruit notre société. Elle est aussi, en partie, l’une des
causes de la migration irrégulière dans notre pays.
Il faut irrémédiablement des actes politiques forts, des
solutions concrètes à ces préoccupations pour redonner
confi ance à cette jeunesse et la convaincre qu’elle peut
aussi œuvrer pour que l’herbe soit aussi verte chez elle. En
tout cas, si nous voulons retenir nos jeunes, les convaincre
que l’herbe peut-être autant sinon plus verte ici que là où ils
veulent émigrer au prix de leur vie, il faudra des arguments,
des actes et non des discours auxquels personnes ne
croient plus. C’est avec le succès et la réussite d’une frange
visible et palpable que nous pouvons retenir les autres et
même faire revenir ceux qui ne demandent qu’à venir mettre
leur expérience, leur expertise et leur réussite fi nancière au
service de l’émergence socio-économique du pays.
Moussa Bolly