En Tunisie, la célébration de l’édition 2024 de la Journée internationale des migrants (18 décembre) a été marquée par un sit-in organisé à Tunis pour dénoncer la criminalisation de l’aide aux migrants. Une initiative de l’ONG Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). Au même moment, des drames continuent à se multiplier sur les côtes du pays et dans les eaux internationales le séparant de l’Europe avec de nombreuses pertes en vies humaines.

Des migrants, secourus par les autorités tunisiennes, arrivent au port d’el-Ketef in Ben Guerdane, en Tunisie, le 27 juin 2021
À l’occasion de la journée internationale des migrants organisée chaque année le 18 décembre, l’ONG Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) avait appelé à manifester sous la forme d’un sit-in devant le théâtre municipal de Tunis pour dénoncer la criminalisation de l’aide aux migrants dans le pays. Elle entendait également protester contre le traitement réservé à ceux originaires d’Afrique subsaharienne, dont une grande partie vit toujours de façon très précaire en Tunisie.
Ils étaient malheureusement moins d’une quarantaine de personnes (issues de la société civile et de familles de disparus en mer) à avoir répondu à l’appel de l’ONG. Visiblement, «le sujet n’intéresse que peu l’opinion publique tunisienne». Bien qu’il reste d’une brûlante actualité, il ne parvient pas à rivaliser avec les problématiques socio-économiques qui préoccupent beaucoup plus les Tunisiens.
Pourtant, depuis le mois de mai 2024, près de huit militants de la société civile ayant exprimé leur solidarité avec les migrants ou ayant travaillé sur les questions migratoires ont été emprisonnés. Dans la majorité des cas, ces derniers sont accusés de mauvaise gestion financière (ou même de blanchiment d’argent à travers leurs associations). «On est plutôt en face d’une stratégie d’intimidation destinée à les museler, comme de nombreuses autres organisations de la société civile qui font l’objet de contrôles fiscaux à répétition ces derniers mois», a déploré le FTDES.
La dernière arrestation en date remontait à quelques jours seulement. En effet, le 13 décembre dernier, la directrice (Saloua Grissa) d’une association qui travaille sur la défense des minorités et lutte contre les discriminations raciales à Bizerte (nord de la Tunisie), a été interpellée. Sa structure, qui faisait l’objet d’une enquête depuis quatre mois, est dans le collimateur des autorités pour avoir «reçu des financements étrangers suspects». Dans ce contexte, le FTDES a donc aussi mis à profit le sit-in du jour pour appeler à la reconnaissance des droits des migrants et à la libération immédiate de leurs défenseurs actuellement incarcérés. Quant à la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, elle a publié un communiqué pour exhorter le pouvoir à «respecter ses engagements en matière de protection des migrants».
Par ailleurs, en fin d’année, 83 personnes ont été secourues suite au naufrage d’une embarcation de migrants. Selon un communiqué de la Direction générale de la Garde nationale tunisienne, 27 corps de migrants irréguliers (originaires d’Afrique subsaharienne) ont été repêchés sans vie au large de Kerkennah, archipel relevant du gouvernorat de Sfax, dans l’est du pays. Mais, 83 personnes ont pu être sauvées, dont 17 femmes et 7 enfants.
«Les unités de la Garde maritime du Centre et l’Armée de mer ont pu répondre en urgence à un appel de détresse de deux bateaux tombés en panne en haute mer et de l’eau qui s’y infiltrait», a-t-on indiqué. Quelques jours auparavant, les autorités tunisiennes avaient annoncé la récupération des corps de deux migrants et le sauvetage de 17 autres (des Tunisiens), dont le bateau est tombé en panne en haute mer dans le nord du pays. Quatre passeurs impliqués dans cette «opération clandestine de navigation» ont été arrêtés.
Le 18 décembre 2024, les autorités tunisiennes ont également annoncé la récupération de 20 corps de migrants au large de Sfax et le sauvetage de 5 migrants de nationalités subsahariennes. Selon un décompte publié par la Garde nationale en juin dernier, les autorités ont récupéré 462 corps de migrants entre le début de 2024 et mai dernier, contre 714 au cours de la même période en 2023. Il a également signalé que 30 281 migrants irréguliers ont été secourus, contre 21 652 au cours des deux périodes susmentionnées.

Un migrant subsaharien tentant de se protéger des conditions climatiques terribles dans le désert, à la frontière avec la Tunisie et la Libye, le 23 juillet 2023 –AP
Presque chaque semaine, les autorités tunisiennes annoncent l’interception de tentatives de migration irrégulière vers les côtes européennes et l’arrestation de centaines de migrants en provenance de Tunisie ou d’autres pays africains, fuyant des situations économiques difficiles dans leurs pays. Par ailleurs, le 22 janvier 2025, les autorités tunisiennes ont annoncé que le nombre de migrants irréguliers à destination de l’Europe via la Tunisie a diminué de 80 % en 2024 par rapport à l’année précédente (2023). «En adoptant une approche sécuritaire et humanitaire et après avoir entrepris des efforts et des mesures exceptionnelles, le nombre de migrants traversant vers l’espace européen via notre pays a baissé de 97 667 en 2023 à 19 245 en 2024, soit un taux de 80 %», a affirmé le Général de brigade Khaled Jrad (président du Comité des migrations irrégulières) devant l’Assemblée des représentants du peuple.
«Le nombre d’immigrés (irréguliers) présents sur le territoire national, estimé à 20 000, s’est stabilisé et aucune augmentation n’a été enregistrée… Le nombre d’arrivées aux frontières terrestres a diminué à 1 839 au cours du 3e trimestre de 2024 et le nombre de ceux qui souhaitaient rentrer volontairement a augmenté au cours de l’année 2024», a-t-il poursuivi.
Il faut rappeler que la Tunisie subit une pression européenne croissante pour exercer davantage de contrôle sur ses côtes et empêcher les bateaux de migrants de partir. En septembre 2023, la Commission européenne a annoncé l’allocation de 127 millions d’euros d’aide à la Tunisie, dans le cadre d’un protocole d’accord portant sur de nombreuses questions, dont la réduction des flux de migrants irréguliers !
Kader Toé