L’annonce par le ministre de l’Économie et des Finances de l’instruction donnée au Trésor public de payer la dette intérieure à hauteur de plus de 300 milliards de FCFA a suscité de nombreuses réactions.
Pour en mesurer correctement la portée, il est indispensable de replacer cette décision dans le contexte global de l’endettement du Mali, de sa structure et de ses contraintes actuelles.
- Le niveau d’endettement du Mali : des chiffres à relativiser
Contrairement à certaines idées reçues, le Mali ne figure pas aujourd’hui parmi les pays les plus endettés de l’UEMOA.
• Dette publique totale estimée : environ 50 à 55 % du PIB
• Seuil communautaire UEMOA : 70 % du PIB
• Comparaison régionale :
• Sénégal : entre 75 et 80 % du PIB
• Côte d’Ivoire : entre 55 et 60 %
• Bénin : environ 60 %
Le Mali reste donc en dessous du seuil critique communautaire, malgré un contexte sécuritaire, politique et économique extrêmement contraint.
Cette situation est le résultat combiné de :
• une prudence relative dans le recours aux marchés internationaux,
• une dépendance encore forte aux financements concessionnels,
• et, paradoxalement, des difficultés d’accès aux financements extérieurs ces dernières années.
- Une dette principalement extérieure, mais une tension intérieure croissante
a) Structure de la dette malienne
La dette du Mali est historiquement composée de :
• dette extérieure (institutions multilatérales et bilatérales),
• dette intérieure, en hausse ces dernières années.
La dette extérieure reste globalement soutenable grâce à :
• des taux concessionnels,
• des maturités longues,
• des périodes de grâce.
Le vrai point de tension se situe aujourd’hui au niveau de la dette intérieure.
b) La dette intérieure : le talon d’Achille actuel
La dette intérieure du Mali se compose principalement :
• des titres publics émis sur le marché UEMOA,
• des arriérés de paiement envers :
• les entreprises,
• les fournisseurs de l’État,
• certains établissements publics.
Ces arriérés se sont accumulés sous l’effet de :
• la baisse de certaines ressources extérieures,
• les surcoûts liés à la sécurité,
• les rigidités de la dépense publique,
• et les contraintes de trésorerie.
Un arriéré intérieur n’est pas une dette abstraite :
c’est une entreprise qui ne paie plus ses salariés,
un chantier à l’arrêt,
une banque exposée,
une chaîne économique paralysée.
- Pourquoi la dette intérieure est plus dangereuse que la dette extérieure
On parle souvent de la dette extérieure, mais la dette intérieure est économiquement plus toxique à court terme :
• elle asphyxie les PME locales,
• elle fragilise le système bancaire,
• elle bloque la commande publique,
• elle détruit la confiance dans la signature de l’État.
Un État peut négocier avec ses créanciers extérieurs.
Mais lorsqu’il ne paie plus ses propres entreprises, il fragilise son tissu économique national.
C’est précisément ce risque que les autorités ont voulu contenir.
- L’apurement de plus de 300 milliards FCFA : une décision économique avant d’être comptable
Dans ce contexte, la décision d’apurer la dette intérieure apparaît comme :
• un choix économique stratégique,
• un signal fort envoyé au secteur privé,
• une mesure de stabilisation macroéconomique interne.
Ce que représente 300 milliards FCFA
• Environ 2 % du PIB du Mali,
• Plusieurs dizaines de milliers d’emplois indirectement concernés,
• Une part significative du chiffre d’affaires annuel de nombreuses PME.
Ce n’est pas une dépense de prestige,
c’est une injection ciblée de liquidité dans l’économie réelle.
- Les impacts économiques attendus
a) Relance immédiate de l’activité
• Reprise des chantiers publics,
• Paiement des salaires en retard,
• Règlement des fournisseurs,
• Reconstitution des fonds de roulement.
Effet multiplicateur sur :
• le BTP,
• les transports,
• le commerce,
• les services.
b) Détente dans le système bancaire
• Réduction des créances douteuses,
• Amélioration des bilans des entreprises,
• Possibilité de reprise progressive du crédit.
Moins d’arriérés signifie moins de risques systémiques.
c) Effet retour sur les finances publiques
Une partie de ces paiements revient à l’État sous forme de :
• TVA,
• impôts,
• cotisations sociales,
• droits indirects.
À moyen terme, l’impact budgétaire net est inférieur au montant nominal payé.
- Les deux conditions de réussite
Cette décision est juste à deux conditions essentielles :
1) Ne pas recréer les arriérés
• discipline budgétaire,
• programmation réaliste des dépenses,
• contrôle strict des engagements.
2) Financer sans étouffer l’économie
• éviter une captation excessive de la liquidité bancaire,
• coordonner avec la BCEAO,
• préserver l’accès du secteur privé au crédit.
Conclusion : payer la dette intérieure, c’est restaurer l’État
L’apurement de la dette intérieure n’est ni un luxe ni un aveu de faiblesse.
C’est un acte de responsabilité économique.
Dans un contexte régional marqué par les risques de crise de la dette, le Mali fait le choix de stabiliser son économie par l’intérieur, en restaurant la confiance entre l’État et ses acteurs économiques.
La vraie souveraineté ne consiste pas seulement à résister à l’extérieur,
elle consiste aussi à honorer ses engagements à l’intérieur.
Harouna Niang
diasporaction.fr

