AMINATA KONATE-BOUNÉ, FEMME LEADER DE LA DIASPORA MALIENNE EN FRANCE

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«La célébration de la journée internationale du soninké est porteuse d’espérance pour la préservation des autres langues africaines»

Franco-malienne-soninké et citoyenne du monde, Aminata Konaté-Bouné est une personne ressource de la diaspora malienne de France. C’est une jeune dame très engagée dans de nombreux secteurs tels que l’Éducation (enseignante), l’émancipation des femmes par l’économie, l’insertion sociale et professionnelle de la jeunesse et l’agro-écologie… Coordinatrice de la journée internationale de la langue soninké (JILSO), elle nous a accordé un entretien pour parler de cet événement historique célébré le 25 septembre 2024, les enjeux de cette célébration, les défis liés à l’initiative ainsi que les perspectives que cette journée offre désormais à la langue et à la riche culture soninké. Interview !

-Diasporaction : Enfin, elle a été célébrée la Journée internationale de la langue soninké. Qu’avez-vous réellement ressenti ce 25 septembre 2024 comme sentiments ?

Aminata Konaté-Bouné : En tant que Coordinatrice de la journée internationale de la langue soninké (JILSO) pour l’Association pour la promotion de la langue et de la culture soninké (APS) et en tant que Franco-malienne soninké de la 2e génération, j’ai d’abord un sentiment de gratitude envers notre Créateur en premier lieu. Je rends en effet grâce à Dieu qui nous a permis de réaliser ce projet ambitieux. Ma gratitude aussi envers mes parents qui m’ont inculqué la langue et les valeurs de cette noble communauté. J’ai aussi une pensée pour feu Diadié Soumaré qui a été visionnaire quant au potentiel de cette communauté. Ma reconnaissance aussi à l’actuel président et le bureau pour la confiance placée en moi pour diriger les travaux avec les délégations permanentes. Parallèlement à ce sentiment de gratitude, j’ai également éprouvé de la fierté.

Cette fierté positive qui consiste à montrer le meilleur de nos communautés en exposant nos expertises, nos personnalités et nos réalisations dans une institution aussi importante que l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Je ne saurais oublier la Délégation permanente du Mali à l’UNESCO, notamment Son Excellence Amadou Opa THIAM, qui est le point de départ de cet ambitieux projet, et Son Excellence Ebrima Ousman CAMARA, ambassadeur de la République de Gambie en France, pour son dévouement à l’adoption de cette journée par l’UNESCO et pour la pleine réussite de cette journée.

Aminata Konaté-Bouné, Coordinatrice de la journée internationale de la langue soninké

-Que symbolise pour vous la présence des présidents Adama Barrow de la Gambie et Pr. Dioncounda Traoré du Mali à la cérémonie officielle de l’UNESCO ?

A.K.B : Le président Adama Barrow a été finalement représenté par le ministre Mussa Drammeh car il se trouvait à la conférence des Nations unies au même moment à New York (Etats-Unis). La cérémonie d’ouverture a été ponctuée par les allocutions de nombreuses personnalités soninkés, politiques, économiques et de la société civile des pays où communauté soninké est établie (Mali, Sénégal, Mauritanie et Gambie).

La présence d’un ancien chef d’Etat, en la personne du Pr. Dioncounda Traoré, et d’un ministre en exercice comme Mussa Drammeh (venu représenter son Excellence Adama Barrow, chef de l’État de Gambie) symbolisent l’importance de cette journée pour notre communauté. Il était nécessaire pour nous, organisateurs de cette journée à l’UNESCO, d’avoir à nos côtés les personnalités influentes qui ont œuvré pour la préservation de la langue et du patrimoine culturel soninké. Tout comme il était nécessaire de montrer également que notre communauté est active de par le monde, dans des domaines d’expertise riches et variés, avec de nombreuses réussites.

Pour assurer la pérennisation de notre langue, il nous incombe désormais d’innover pour pouvoir être en mesure de nous adresser à tous les soninkés, notamment les soninkés 2.0

-Au-delà du symbole, que représente cette célébration pour la communauté soninké à travers le monde ?

A.K.B : Il convient de spécifier que le soninké est devenu la 2e langue africaine à avoir une journée internationale proclamée au sein de l’UNESCO. L’APS, depuis sa création, n’a eu de cesse de lutter contre le déclin de cette langue et de sa culture. Cette proclamation ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives à une échelle internationale de préservation de cette langue. Elle permet d’espérer que d’autres langues africaines puissent, à leur tour, bénéficier d’une telle reconnaissance.

Cet événement replace notre histoire, notre culture et notre patrimoine dans l’actualité qui lui sied. Cette célébration favorise les rencontres des professionnels de la question à une date définie pour poursuivre les actions engagées. Cette reconnaissance par l’UNESCO permet à nos langues de figurer sur l’échiquier des langues internationales. Elle offre une vitrine plus large sur le monde permettant à nos ambitions de se révéler.

Amadou Opa Thiam Ambassadeur de la délégation permanente du Mali à l’UNESCO

-Qu’est-ce qui a motivé le choix du thème, «Le Soninké à l’ère du numérique», pour célébrer cette première journée ?

A.K.B : Tout d’abord, en cette année 2024, le numérique est le thème central au sein de l’UNESCO. Par la suite, nous faisons face au défi générationnel de la préservation de notre langue. Et celui-ci ne saurait se faire sans tenir compte des outils du moment, à savoir le numérique. En outre, pour assurer la pérennisation de notre langue, il nous incombe désormais d’innover pour pouvoir être en mesure de nous adresser à tous les soninkés, notamment «les soninkés 2.0» bien ancrés dans leur temps. Et pour finir, il convient de valoriser les professionnels du numérique qui s’emploient à faire vivre la langue. Le premier panel qui leur était dédié a permis d’identifier nombreuses compétences en la matière, notamment Afrilangue, 1Clic1prof

-En dehors de la cérémonie officielle à l’Unesco, comment la communauté soninké de la France voire d’Europe a-t-elle célébré cette journée ?

A.K.B : Cette reconnaissance, pour la communauté soninké à travers le monde, a été célébrée partout en Afrique, en Europe et ailleurs par des conférences, des ateliers, des festivités… En France également, en dehors de l’UNESCO, de nombreuses villes abritant des populations de langue et de culture soninké ont également proposé de nombreuses activités culturelles. Des partenaires ont réalisé un livret d’accueil reprenant les mots du quotidien pour une première initiation à la langue. Les élus locaux et de nombreuses associations ont multipliés les actions le jour «J» à travers des panneaux municipaux annonçant la journée, comme dans la ville du Pré-Saint-Gervais en Seine-Saint-Denis où ont eu lieu des initiations à la langue dans plusieurs collèges du département.

Pr. Dioncounda Traoré a pris la parole pour célébrer la langue soninké le 25 septembre 2024 à l’UNESCO

-L’instauration d’une journée mondiale de la langue soninké est le fruit d’un long combat. Pouvez-vous résumer la genèse de cette longue lutte ?

A.K.B : La genèse de ce beau projet prend racine au retour du FISO 2023 de Mauritanie (7e édition du Festival international soninké qui s’est déroulée du 22 au 26 février2023 à Nouakchott, en Mauritanie) auquel l’Ambassadeur Amadou Opa Thiam a pris part. Il a suggéré cette journée auprès de l’UNESCO. Et c’est ainsi que la Gambie, dans la continuité de l’élan impulsé par Son Excellence Adama Barrow, a accepté de porter le projet auprès de l’institution.

Très vite, l’APS ainsi que les délégations permanentes de la Gambie, du Mali, de la Guinée et des pays co-auteurs se sont mises en ordre de marche pour la concrétisation de ce projet. Nous y avons consacré de nombreuses heures durant un an, à raison d’une rencontre physique minimum par semaine.  Ce combat a été mené en plusieurs étapes, notamment l’élaboration des termes de références à transmettre aux délégations permanentes en vue de l’adoption du projet ; la présentation du projet en commission exécutive, précédée d’une séquence de lobbying intense afin de s’assurer du vote favorable obtenu le 13 octobre 2024…

A ce moment-là, les choses se sont accélérées pour entrer dans une phase pratique de préparation de la journée avec toute la logistique que cela implique. Le descriptif fourni traduit bien la masse de travail qu’il a fallu consacrer pour passer de l’idée à la réalisation de cette proclamation.

Pour cette première édition nous avons souhaité mettre en exergue la richesse de la culture soninké à travers plusieurs temps forts. Cela s’est traduit par une cérémonie d’ouverture ponctuée par les prises de paroles des personnalités de la communauté et des représentants de l’UNESCO. Nous avons aussi organisé le vernissage des stands artisanaux avec un espace littéraire mettant en valeur nos écrivains. Au programme, il y a eu également un temps de déjeuner favorisant un voyage culinaire à travers des mets de la gastronomie soninké. La célébration a été aussi marquée par un des échanges fructueux et constructifs à travers 2 panels sur la langue et l’éducation avec des personnes expérimentées.

Un gala a été organisé pour clôturer la journée avec un orchestre traditionnel, des artistes, des poètes, des danseuses et une chorale d’enfants comme une promesse de la 3e génération à la précédente, en perpétuant la transmission du flambeau. Notre volonté était de prouver que c’est dans les actions collectives que les meilleures réalisations s’expriment. Cette fédération de compétence a permis la réalisation de cette première et historique Journée porteuse d’espérance pour la préservation des autres langues africaines.

Cette célébration a surtout permis d’envisager sereinement la survie de notre langue, de notre culture à travers un regain d’intérêt de la jeunesse pour l’apprentissage et la promotion de la langue sous toutes ses formes !

-Qu’est-ce que cette célébration va réellement changer pour la langue et la culture soninké ?

A.K.B : Cette célébration a permis de mettre en lumière des actions remarquables en manque de visibilité, de créer un espace de rencontre et d’échange avec des non- locuteurs soninkés qui s’intéressent désormais à notre culture. Elle a également permis la rencontre d’acteurs soninkés qui évoluaient en parallèle sans jamais se rencontrer. Mais, elle a surtout permis d’envisager sereinement la survie de notre langue, de notre culture à travers un regain d’intérêt de la jeunesse pour l’apprentissage et la promotion de la langue sous toutes ses formes.

Le hastag «fierd’êtresoninké» est d’ailleurs en top tendance chez les jeunes de nos communautés. Les millions de vue de la célébration de cette journée en sont aussi le reflet. L’intérêt de média internationaux tel que TV5 Monde, RFI, Brut Afrique ou nos médias communautaires attestent également de la notoriété et de la visibilité de cette journée. Et pour finir, cette journée a permis un regain de confiance pour la poursuite et le soutien de nos actions. Pour n’en citer que deux, nous parlerons du projet du soninké au baccalauréat et du centre culturel Ouagadou que nous envisageons de créer prochainement.

-Quels messages voulez-vous maintenant adresser aux Africains pour la promotion de nos langues ?

A.K.B : La langue est constitutive de l’identité de tout être humain : en faire abstraction revient à nier son histoire ! Notre équilibre passe, aussi et surtout, par la pratique de la langue et la compréhension de nos valeurs pour une réelle adhésion. Nos langues sont devenues des atouts à valoriser davantage dans nos lieux de résidence.

Le Ministre Musa Drammeh, représentant Son Excellence le président Adama Barrow de la Gambie

-On peut dire que l’Unesco a fait sa part du travail en instituant cette journée. Mais, qu’attendez-vous maintenant des Etats comme le Mali, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie… et même la France qui abrite une très forte communauté soninké depuis plusieurs générations ?

A.K.B : Nous attendons des différents États cités la promulgation de la langue soninké comme langue nationale aux côtés des autres langues qui sont tout aussi légitimes à le souhaiter, comme c’est le cas au Mali. Cette spécificité africaine doit pleinement s’exprimer. En France, pays qui m’a vu naître et ou je vis, nous avons déjà entamé le processus consistant à permettre aux lycéens soninkés de choisir le soninké en option au Bac, comme ça existe déjà en bambara, en wolof et dans d’autres langues africaines… 

Nous sommes également sur le projet de création d’un centre culturel soninké qui permettra de dispenser des cours de langue soninké, de cuisine… et d’accueillir les festivités ou les temps d’échanges de la communauté. Nos ambitions sont à la mesure de cette grande communauté, riche de par son histoire mais également des personnes qui la compose.

Nous sommes également heureux d’annoncer que la dénomination de la «Place Ganda Fadiga» est désormais effective à Paris. C’était un projet principalement porté par Mams Yaffa, un élu dans le 18e Arrondissement de Paris et membre de l’APS. Toutes ces actions conjointes concourent au rayonnement de notre communauté, de notre culture. La jeunesse est en quête de son histoire, nous avons décidé que la diaspora ne saurait être dans un déracinement culturel et nos actions le prouvent à souhait.

-Quel appel lancez-vous à la jeunesse de la diaspora malienne voire africaine ?

A.K.B : Au risque de me répéter, je dirais que nos langues constituent un atout supplémentaire et qu’il ne tient qu’à nous de les valoriser. Nous sommes les premiers ambassadeurs de notre culture à travers la promotion que nous en faisons et l’engagement qui est le nôtre.

Promouvoir nos langues et nos cultures passent par des actes forts tels que la JILSO, mais également par une réelle volonté d’éducation, d’accompagnement, d’information, de structuration et de fédération. La fédération des compétences, si chère à mon cœur, se vérifie quotidiennement à travers nos réalisations dont la notoriété n’est plus à démontrer !

Propos recueillis par

Moussa Bolly

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ZOOM

ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE LA LANGUE ET DE LA CULTURE SONINKE

Le tremplin de tous les combats de vulgarisation et de promotion au fil des générations

La célébration de la Journée internationale du soninké est l’aboutissement d’un long combat en faveur de la sauvegarde et de la promotion de langue et de la culture de cette communauté très entreprenante et éparpillée sur la planète entière.  Un combat mené notamment par l’Association pour la promotion de la langue et de la culture soninké (APS) dont le premier président, feu Diadié Soumaré, a été un grand visionnaire par rapport au potentiel de sa communauté, les Soninkés.

Ousmane Bocar Diagana, président de l’APS, entouré de l’ambassadeur de Gambie en France, M. Ebrima Camara et M. Séméga, président d’honneur de l’APS

C’est en 1979 qu’un petit nombre de militants acquis à la cause ont pris l’initiative de créer l’Association pour la promotion du soninké (APS) au foyer de la «Rue de la Commanderie» à Paris (19eArrondissement). Contrairement au Centre de recherche et d’enseignement du soninké (CRES), créé en octobre 1974 à Montreuil par des étudiants, des travailleurs, des militants africains, des moniteurs d’alphabétisation soninké, des universitaires français ; l’APS ne  ciblait pas les seuls intellectuels car elle s’est fixée l’objectif de diffuser la culture et la langue du peuple soninké. Elle s’est donc positionnée, dès sa création, comme  une structure de réflexion, de concertation et d’action pour les communautés africaines, spécifiquement les soninkés de France voire de la diaspora.

«L’un des illustres dirigeants de l’APS, feu Diadié Soumaré, m’a mis le pied à l’étrier au sein de la structure en étant mon mentor, que dis-je, le mentor de toute une génération de soninkés, de Maliens, de Mauritaniens et bien d’autres encore», se rappelle Mme Aminata Konaté-Bouné, femme leader et Coordinatrice de la journée internationale de la langue soninké (JILSO). Elle est la 3e vice-présidente en charge de l’éducation, de la jeunesse et des relations institutionnelles.

Les premières actions concrètes de l’APS étaient centrées sur l’enseignement. En effet, l’association estimait que, pour la communauté soninké majoritairement analphabète dans sa langue maternelle et en français, l’alphabétisation en langue d’origine présentait un grand intérêt et réduisait considérablement l’effort que représentait l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, du lexique, de l’orthographe et des structures grammaticales d’une langue étrangère. L’apprentissage dans sa langue maternelle ne peut manquer d’avoir un impact psychologique important sur le Soninké qui, alphabétisé dans sa langue, aura plus facilement accès à toute autre langue. C’était le sens des cours d’alphabétisation. Les membres fondateurs de l’APS se rendaient ainsi de familles en familles, de foyers de travailleurs immigrés en foyers, de villes en villes pour mettre en place des sections APS chargées de les représenter. Quelquefois, ils regroupaient des enfants dans une localité pour leur apprendre à écrire le soninké…

La célébration de la Journée internationale du soninké est l’aboutissement d’un long combat en faveur de la sauvegarde et de la promotion de langue et de la culture

Mais, en 41 ans, d’existence, l’APS est passée de la transmission de la langue soninké aux jeunes générations à l’organisation de festivals culturels dans plusieurs capitales africaines et à un investissement dans la vie citoyenne en France et en Afrique. En effet, actuellement dirigée par Ousmane Diagana (depuis 2019), cette organisation à son actif de nombreuses réalisations, telles que le Festival international soninké (FISO). Il s’agit d’une manifestation itinérante qui rassemble les communautés soninkés du monde entier durant quelques jours pour échanger et célébrer la culture et le patrimoine soninké.

Ce festival existe depuis 2011 et la prochaine édition est aura lieu à Abidjan (Côte d’ivoire) en 2025. La création d’un glossaire en français et en soninké pour l’administration française, la traduction du Coran en soninké ainsi que le co-pilotage de la Journée internationale de la langue soninké (en partenariat avec les délégations permanentes de Gambie, du Mali et de la Guinée auprès de l’UNESCO ainsi que de nombreux pays co-auteurs et co-sponsors) sont les prochains défis que l’APF veux relever  pour le rayonnement mondial de la langue et de la culture soninké !

Moussa Bolly

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