Au 13e siècle en Afrique de l’ouest, un très
vaste empire avait vu le jour : L’Empire du
Mali ou Empire Manding ! Selon des sources
de plus en plus concordantes, l’un de ses empereurs
a découvert l’Amérique 180 ans avant celui dont
cette découverte est attribuée par des sources
occidentales, c’est-à-dire Christoph Colomb. Cet
empereur est Aboubakari II qui a aurait réussi à
traverser l’Atlantique avec une armada de 2 000
navires. Une vraie prouesse aujourd’hui relatée par
un film documentaire. Une œuvre qui se propose
de «redonner à la civilisation mandingue sa juste
place dans l’histoire» des explorations. Certes,
précurseur de la diaspora malienne, Aboubakari II
n’est pas revenu de son aventure, mais la légende
est née pour résister au temps, à des préjugés et à
des contrevérités.
«Gloire africaine» ! African glory ! Une œuvre de
Thierry Bugaud qui fait parler d’elle. Et cela d’autant
plus qu’elle est consacrée au «Premier Africain» à
atteindre les Amériques en tant qu’Empereur et non en
esclave ! En effet, 180 ans avant Christophe Colomb,
l’empereur Aboubakri II a traversé l’Atlantique avec une
armada de 2 000 navires. Il n’en est jamais revenu, mais
une légende est née. En s’appuyant sur la réalité et la
fiction, «Gloire africaine» (documentaire de 01:03:24
sorti en 2023) se propose de «redonner à la civilisation
du Manden la place qui lui revient dans l’histoire» de
l’humanité.
Surnommé «l’Empereur explorateur», Aboubakri II
(Aboubakari ou Abubakar II ou Bakari II aurait régné
de 1310 à 1312. Dans la tradition des souverains
navigateurs, il serait parti vers l’ouest jusqu’à la côte de
l’océan Atlantique d’où il aurait lancé deux expéditions
maritimes pour aller voir «ce qu’il y avait de l’autre côté
de la grande mare». Ayant pris la tête de la seconde,
il n’en serait jamais revenu. Selon, certaines sources,
le célèbre empereur serait arrivé en Amérique avant
Christoph Colomb où des «Noirs» auraient été aperçus
par certains des premiers Européens parvenus
sur le continent. La théorie de cette traversée a
particulièrement retenu l’attention d’historiens africains.
Néanmoins, cette théorie demeure controversée en
raison de la supposée impossibilité technologique,
pour les Africains de l’époque, de traverser l’océan
Atlantique.
La source de cette histoire se trouve dans l’encyclopédie
Masalik Al-Absar de Shihab al-din al-Umari (1300-
1349), un historien d’origine syrienne basé en Egypte.
Ce dernier avait 24 ans quand l’empereur mandenka
Mansa Musa a défrayé la chronique égyptienne par sa
richesse en or à l’occasion de son légendaire pèlerinage
à la Mecque en 1324. Selon Al-Umari, au gouverneur du
Caire qui lui demande comment il a obtenu son trône,
Musa Ibn Amīr Hājib répond qu’il a tout d’abord assuré
la régence de l’empire lorsque son prédécesseur est
parti vers l’océan Atlantique. Ce dernier, persuadé qu’il
était possible d’atteindre l’extrémité de la mer, aurait
préparé plusieurs années durant une flotte de 200
navires qu’il aurait envoyée vers l’ouest, avec ordre de
ne pas revenir sans résultat, ou tout du moins pas avant
l’épuisement complet des vivres.
Longtemps après, un seul bateau serait revenu. Selon
son capitaine, la flotte avait rencontré une sorte de
puissante rivière au milieu de l’océan et tous les
navires à l’exception du sien avaient été engloutis
dans les tourbillons. L’empereur décida alors de
prendre lui-même la tête d’une nouvelle expédition de
3 000 bâtiments dont il ne revint jamais. Néanmoins,
l’empereur voyageur n’est pas nommé et le témoignage
de Mansa Musa est sujet à caution : interrogé par
Fakhr ad-Dīn sur l’origine de l’or malien, il aurait en effet
répondu qu’il sortait de terre sous forme d’anneaux et
poussait comme les légumes
L’identification du souverain navigateur à un empereur
nommé Aboubakri II repose surtout sur une chronologie
des empereurs du Mali établie par l’africaniste
Maurice Delafosse (1870-1926) d’après des sources
écrites, sans l’aide de la tradition orale et selon une
lecture erronée des sources arabes due à une erreur
de traduction. C’est lui qui fixe ses dates de règne à
1310-1312. Abou Bakr (Aboubakri), mentionné par
Ibn Khaldoun comme l’ascendant de Mansa Musa, lui
semble le meilleur candidat pour combler l’intervalle de
deux ans qui apparaît dans sa liste entre les règnes de
Mansa Mohammed et de Mansa Musa.
Néanmoins, Ibn Khaldoun dit en fait qu’après
Muhammad bin Qu, descendant de Soundiata Kéita, le
pouvoir passa à Mansa Musa, issu d’Abou Bakr, frère
de Soundiata. Ainsi, Aboubakri ne serait donc ni le
père ni le prédécesseur de Mansa Musa et n’aurait pas
régné. La liste de Delafosse fut généralement reprise,
malgré les doutes de certains comme Charles Monteil
(1871-1949) qui fait remarquer que, en 1929, Abubakri
II n’apparaît dans aucune tradition orale mandingue.
Cependant, certains croient en la possibilité de son
existence. C’est le cas de l’historien guyanais Ivan Van
Sertima de l’Université Rutgers qui a tenté en 1976 de
retracer son voyage. C’est aussi le cas de l’historien
sénégalais Pathé Diagne dans «Bakari II (1312) et
Christophe Colomb (1492) : A la rencontre de Tarana
ou l’Amérique» (1992).
L’historien guinéen, Djibril Tamsir Niane, a expliqué que
le nom d’Aboubakri n’apparaissait pas dans la tradition
orale parce que les griots traditionalistes préféraient
utiliser des noms préislamiques, compliquant ainsi le
travail des historiens. Quant à feu Gaoussou Diawara
(écrivain malien), il pense qu’Aboubakri II a pu être
volontairement ignoré par les griots désapprouvant son
entreprise. Cette sorte de censure est attestée ailleurs
dans la tradition malienne. En 1992, il a écrit une pièce
de théâtre dont Aboubakri est le héros. Par la suite,
inspiré par des griots modernes comme Sadio Diabaté
qui a chanté les exploits de l’empereur, il a rédigé sa
biographie en 1999.
A noter que Boubacar Diallo et El Ibrahima Kalil Kéita
ont aussi apporté leur part de vérité au débat avec «Le
jour où Aboubakri II découvrit l’Amérique» (Éditions
universitaires européennes).
Kader Toé