Montesquieu et l’Afrique : « Seul le pouvoir arrête le pouvoir »… mais à condition de l’adapter à nos réalités

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Notre continent est traversé par une crise de gouvernance : concentration du pouvoir, manipulation des constitutions, dépendance des justices, parlements affaiblis. Dans ce contexte, relire Montesquieu peut sembler anachronique. Pourtant, sa réflexion reste une source d’inspiration si nous savons l’approprier, au lieu de tomber dans l’imitation mécanique des modèles occidentaux.

Dans De l’esprit des lois (1748), Montesquieu affirme que « le pouvoir arrête le pouvoir ». La liberté politique n’est pas une absence de règles, mais l’équilibre subtil entre des forces qui se contrôlent mutuellement. Ce principe fondateur du constitutionnalisme moderne n’est pas un dogme figé : il doit être contextualisé. L’erreur serait de copier-coller un modèle institutionnel étranger en croyant garantir la démocratie par des textes importés.

L’Afrique face au défi des institutions importées

Depuis les indépendances, la plupart des constitutions africaines ont été calquées sur les schémas français ou américains, souvent rédigées avec l’appui de cabinets étrangers. Résultat : des institutions fragiles, parfois inopérantes, car déconnectées des dynamiques sociales et culturelles locales. Là où Montesquieu prônait l’équilibre des forces, nos pays ont trop souvent instauré des présidences hégémoniques, transformant l’exécutif en source unique de pouvoir.

L’appropriation culturelle comme condition de réussite

L’enseignement de Montesquieu n’est pas seulement technique. Il nous dit : la liberté se construit par la régulation mutuelle des forces sociales. En Afrique, cela suppose de reconnaître et d’intégrer nos propres structures de médiation :
• Les chefferies traditionnelles et les autorités coutumières, encore respectées par les populations, peuvent jouer un rôle consultatif ou même institutionnel, à côté des parlements modernes.
• La société civile et les associations communautaires doivent être des contre-pouvoirs légitimes, enracinés dans nos valeurs de solidarité et de palabre.
• Les conseils de sages et de notables, qui ont longtemps régulé les conflits, peuvent être réinventés dans une logique de médiation nationale, en complément de la justice étatique.

Ainsi, la tripartition des pouvoirs peut être réinterprétée : non pas une copie du modèle anglais ou américain, mais une distribution africaine des forces, où l’exécutif, le législatif et le judiciaire sont équilibrés par des mécanismes de contrôle endogènes.

Exemples africains d’adaptation
• Le Botswana : ce pays est souvent cité comme l’un des plus stables du continent. Sa réussite relative tient à la combinaison d’institutions modernes avec le kgotla, une assemblée traditionnelle de délibération communautaire qui assure un dialogue constant entre dirigeants et citoyens. Ici, l’équilibre ne résulte pas uniquement de la Constitution, mais aussi de l’intégration d’une culture politique enracinée.
• L’Afrique du Sud : après l’apartheid, la mise en place d’une Cour constitutionnelle indépendante a permis de créer un véritable contre-pouvoir, capable de censurer des décisions gouvernementales, y compris celles de l’exécutif. Ce modèle reste fragile, mais il illustre l’esprit montesquieuien adapté à un contexte africain marqué par de fortes inégalités.
• Le Ghana : la Commission de justice et de nomination des juges de la Cour suprême, validée par le Parlement, a renforcé la confiance dans la justice et limité la mainmise de l’exécutif. Le Ghana illustre que la démocratie représentative peut se consolider si des mécanismes transparents de contrôle institutionnel sont introduits.
• Le Rwanda (cas particulier) : le pays a su mobiliser ses structures communautaires, les gacaca, pour juger les crimes du génocide. Même si ce système reste controversé, il montre que la réconciliation et la justice peuvent aussi puiser dans les formes locales d’organisation sociale.

Ces exemples montrent que l’Afrique n’a pas à choisir entre tradition et modernité : elle peut inventer une voie où les principes de Montesquieu se traduisent dans un langage culturellement approprié.

La démocratie comme compromis et négociation

Montesquieu n’avait pas peur du compromis ni du débat entre intérêts divergents. Pour l’Afrique, la leçon est claire : nous devons accepter que la démocratie soit un processus de négociation permanent entre État, communautés et citoyens. C’est en articulant institutions modernes et valeurs africaines que nous pourrons éviter les blocages, renforcer la confiance et empêcher la dérive autoritaire.

Une boussole pour l’avenir

Si Montesquieu inspire encore, c’est parce qu’il nous rappelle que la liberté ne résulte pas d’un seul pouvoir mais de leur équilibre. L’Afrique doit traduire ce principe dans son propre langage, en créant des constitutions enracinées dans nos réalités culturelles. C’est le seul moyen de dépasser les constitutions « vitrines » et d’édifier une démocratie qui soit à la fois universelle dans ses principes et africaine dans ses formes.

H. Niang
Citoyen lambda

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