MUSIQUE MALIENNE : La tragédie des talents précocement arrachés de la scène en plein succès

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Arraché à l’affection des mélomanes à la fleur de l’âge en plein succès, en pleine ascension dans une carrière s’annonçant très prometteuse ! La scène artistique malienne, musicale notamment, a été émaillée de ce genre de drame des années 90 à nos jours. Le dernier en date est le décès de Nabintou Diakité décédée le 4 septembre 2022 à Fana alors que son nouvel album, «Dounia», connaissait un immense succès lui assurant un retour triomphal dans le showbiz. Avant elle, il y a eu Tata Diakité, Ramata Diakité, Batoma Diallo, Oumar Konta…

Le 24 janvier 2003, Fatoumata dite Tata Diakité s’est éteinte des suites d’un accident de la route.

En effet, invitée le 5 octobre 2002 pour un gala à Gao, Tata Diakité a été victime d’un violent accident de la route vers Bla (Ségou). Évacuée à Bamako où elle est hospitalisée, elle s’est éteinte le 24 janvier 2003 à 27 ans seulement (née en 1976 à Madina Diassa dans le Wassoulou) alors que sa carrière artistique connaissait une ascension fulgurante avec le succès de son album «Jama».

C’est en 1990, que Djénéba Diakité l’avait engagé comme choriste. Par la suite, Ramata Diakité, Oumou Sangaré, Mamou Sidibé, Issa Bagayogo dit Techno Issa (décédé également)… ont recours à son immense talent. En 1993, elle fonde avec Dibé Saran (une autre choriste de Djénéba Diakité) le duo «Saran & Tata». Une collaboration soldée par «Wary Be Mogo Sanya» (1996) sous le label Maïkano. Cet album n’a malheureusement pas connu un grand succès.

Deux ans plus tard (1998), à la demande de Sory Yattassaye de Kaarta Production, Tata va enregistrer son premier album solo, «Demissinw», qui connut un immense succès avec 30 000 cassettes légales vendues. Un succès qui lui offre des opportunités de voyager en France et aux États-Unis. C’est à son retour qu’elle a enregistré l’album «Djama» sorti le 4 juin 2002. Elle est décédée moins d’une année après avoir mis sur orbite cet opus vendu à plus de 50 000 cassettes entre sa sortie et septembre 2007.

Dans sa discographie, on note aussi une cassette posthume chez Camara Production, «Laban», qu’elle préparait avant le drame qui lui a coûté la vie. Et sa maison de disques, «Kaarta Production», a tenu à perpétuer sa mémoire à travers une compilation baptisée «Hommage à Tata Diakité» et réunissant certaines de ses meilleures chansons comme «Djougouya», «Furu», «Den Missen», «Laban», «Djiguiya», «Sarama»

Mariée et mère de trois enfants (2 filles et un garçon), sa fille Mariam Sangaré dite «Tatadeni» (née le 20 avril 2000 à Bamako) est aujourd’hui bien lancée sur ses traces. Elle s’est d’ailleurs révélée en 2011 au public à 11 ans en interprétant «Djougouya» (méchanceté), un titre à succès de sa défunte maman. C’était à «MiniStar», une émission de téléréalité malienne consacrée aux tous jeunes talents.

Des prédispositions au chant confirmées par la suite à travers la reprise d’autres titres comme «Maman» de Sira Kouyaté ou encore «Kono kan bora» et «Djarabi» de sa regrettée maman Tata Diakité. Aujourd’hui, elle est très sollicitée pour des spectacles et reste au devant de la scène musicale avec des singles comme «Nioumadon» sorti en juin 2021. Ayant grandi à l’ombre de célèbres tantes comme la diva Oumou Sangaré, elle a aussi travaillé avec le Sénégalais Thione Ballago Seck, Ami Yèrèwolo, Baba Niamé Camara, Djénéba Seck, Delphine Mounkoro… Tatadeni est donc aujourd’hui l’un des grands espoirs de la musique malienne car suffisamment armée pour consoler les fans de sa regrettée maman, Tata Diakité. 

Ramata Diakité ou la symphonie inachevée

Considérée comme l’un des artistes les plus talentueux du Wassoulou voire de sa génération, Ramata Diakité a tiré sa révérence le vendredi 30 octobre 2009 à Ouagadougou (Burkina Faso) des suites d’une longue maladie. Elle laissait ainsi derrière elle des milliers de fans inconsolables à travers le Mali, l’Afrique et le monde.

Couronnée «Meilleur clip» et du titre de «Meilleure artiste féminine» aux «Tamani d’Or» en 2003, Rah avait une nouvelle fois été sacrée avec le Tamani d’or de la «Meilleure artiste féminine» de l’année 2006. Talent précoce,  Ramata avait 12 ans quand elle faisait ses premiers pas dans la troupe de Djénéba Diakité qui lui a demandé de participer à l’enregistrement de sa première cassette. Choriste très douée, l’adolescente manifeste vite des potentialités vocales qui lui ont valu d’être fréquemment sollicitée par de nombreux artistes et arrangeurs pour faire les chœurs, notamment avec Samba Diallo, Yoro Diallo ou la regrettée Ténin Sidibé… 

Par la suite, elle n’a pas manqué d’opportunités pour participer à de nombreuses aventures artistiques en France et en Afrique de l’ouest. Ce qui lui a permis d’acquérir une grande expérience des concerts et du milieu musical. En décembre 1995, Ramata enregistre sa première cassette et réalise l’une des meilleures ventes au Mali en 1996. Elle donne de nombreux concerts et participe avec Salif Kéita à une soirée malienne organisée en octobre 1997 à Paris.  Avec une carrière constamment sur une courbe ascendante, Rah a légué à la postérité plusieurs albums dont la plus célèbre est «Na», qui est son second enregistrement réalisé au studio Bogolan de Mali K7. La jeune coqueluche de la scène musicale malienne s’est éclipsée de la scène à la fleur de l’âge. Mais elle aura marqué son époque tout en nous laissant l’amer sentiment d’une symphonie inachevée.

Fatoumata Dramé alias Chéché, précocement arrachée en pleine ascension

Née en 1984, Fatoumata Dramé alias Chéché a accidentellement trouvé la mort le 14 septembre 2010 à 26 ans (née en septembre 1984 à Mourdiah, Nara). Talent inné, elle avait commencé sa carrière très jeune aux côtés de la star nationale Babani Koné. Elle s’est éclipsée elle aussi alors qu’elle étincelait au sommet des hits avec des titres (A Ye Deme, Dia, Fala, Tounka, Gname, Kolomba Bali, Fa Saya et Kebre Ouaga) de son album à succès. Elle rentrait d’ailleurs d’une série de prestations en Mauritanie quand elle a trouvé la mort dans un accident de la route entre Kayes et Diéma.

Issue d’une famille griotte, Chéché a commencé à faire parler d’elle à 9 ans. Ce qui lui a valu de retenir l’attention de la grande cantatrice Dialou Damba, originaire elle aussi de Mouroudia. C’est par la suite qu’elle va intégrer le groupe de la vedette Fatoumata Koné dite Babani. Après 10 ans à l’école de la Sirani, elle décide de voler de ses propres ailes. Une carrière solo marquée par deux albums en quatre ans, précisément «Ayé N’Démé» en 2006 et «Mogoya» en 2010. Le second fut un coup de maître rehaussé par un immense succès au Mali et partout où il y a une forte diaspora malienne. Hélas, Chéché n’en a pas savouré puisqu’elle s’est éteinte de manière précoce. En plus de son immense talent porté par une superbe voix, Ceux qui l’ont côtoyé pendant sa courte vie de 25 ans ont retenu d’elle «sa gentillesse, sa politesse et son sens très élevé des relations humaines». Une bonne personne 

Nabintou Diakité, un immense talent toujours contrarié par le destin

Moins d’un an après la sortie de son 3e album (en novembre 2021), la pure voix du Wassoulou s’est éclipsée dans la clameur d’une fin de journée le dimanche 4 septembre 2022 à Fana. En vraie amazone, elle a farouchement résisté à ce mal pernicieux (cancer du sein) qui la rongeait. Elle s’est battue contre la maladie sans jamais baisser les bras, entourée de ses proches, dont son époux Berthin Coulibaly toujours aux petits soins pour son épouse. D’ailleurs, ce grand amour a permis à la «Voix d’or» du Wassoulou de redonner espoir à ses fans avec un dernier album : Dunia ! Ce monde auquel elle a tourné Le dos pour de bon et moins d’un an après la sortie de cet ultime opus en novembre 2021 !

«Dounia» a été chaleureusement accueilli par les critiques comme un chef d’œuvre de la musique du Wassoulou, de la musique malienne. Et cela parce qu’il est encore difficile de choisir entre les dix titres (Denko, Nani Nani, Diarabi, Naloma, Kalan, Marakaw, Djougouya, Madame Cissé, Yanonkalaya et Dounia) qui le composent. Des morceaux évoquant les thématiques de la cruauté humaine, de la méchanceté gratuite, des coups de la vie, de l’amour, de l’éducation, de la santé, du leadership féminin et aussi de la… mort ! Prémonition ? En tout cas, l’œuvre a séduit ! «Ce nouvel album a réconcilié tout le monde sur l’immense talent de ce jeune artiste qui maîtrise tellement son art et surtout sa voix qu’elle en fait ce qu’elle veut sans en perdre le contrôle», avait alors avoué (après la sortie officielle) un critique en reconnaissant qu’il l’avait jusque-là sous-estimée.

 «Dounia» a enrichi sa discographie après «Na diara Minyé» (1998/99) et «Ma Ouléni» (2004). Grande dame de la musique malienne qui était sur la scène depuis l’âge de 10 ans, Nabintou n’était plus à présenter. En effet, elle a fait ses premiers pas dans la chanson en tant que choriste aux côtés de sa cousine, la diva Oumou Sangaré (avec qui elle s’est réconciliée juste avant de tirer sa révérence). Avec la Diva du Wassoulou, elle a parcouru le monde pour donner des concerts. Une belle opportunité de se frotter à de grands artistes et de se forger un style avant d’être propulsée dans le grand bain du showbiz avec «Nadiara Miyé» sorti en 1998/99 sous la houlette du maestro Massambou Wélé Diallo.

Pour de nombreux critiques, le coup d’essai fut un véritable coup de maître. L’opus obtient en effet le prix de la meilleure vente sur le marché discographique malien.  En 2004, Nabintou a mis sur orbite  «Ma Ouléni» sous le Label MBD Productions de M’Baye Boubacar Diarra. Pour la promotion de cet album, le jeune talent à la voix d’or a parcouru l’Afrique du nord au sud et de l’est à l’ouest.

Malheureusement, des événements personnels vont l’éloigner de la scène musicale pendant de longues années. En décembre 2017, celle qui est surnommée la «Voix d’or» du Wassoulou ou la «Tigresse» a fait un remarquable come-back avec un nouveau single, «Simaya» (Longévité), qui a aussitôt cartonné sur la bande  FM et sur les plateformes de téléchargement. Le succès est viral car, longtemps sevrés de sa sublime voix, les fans s’en délectent.

En 2021, Nabintou Diakité était donc revenue en force dans les bacs et sur la scène musicale malienne voire africaine avec «Dounia» ! Un opus teinté de l’expérience accumulée pendant sa jeune carrière marquée par des tournées en Afrique, en Amérique et en Europe. Paraissant alors en pleine forme, l’artiste chanteuse et l’auteure-compositrice avait en réalité fait violence sur elle-même pour dire adieu aux mélomanes, à ses nombreux fans à travers le monde qui ne cessent de lui rendre un hommage mérité sur les réseaux sociaux depuis son décès !

Le cruel destin d’Oumar Konta

Dans le même registre des talents arrachés à l’affection du public à la fleur de l’âge, on peut aussi ajouter Oumar Konta qui a tiré sa révérence un 29 mars 2016 à 33 ans. Né à Tombouctou, il a laissé une réputation d’artiste «aux multiples facettes qui a développé son art depuis sa plus tendre enfance. Un homme discret et avide d’apprendre…». Ce sortant de l’Institut national des arts (INA) de Bamako a fait ses débuts sur scène aux côtés du Rossignol du Mandé, Salif Kéita, avec qui il a beaucoup voyagé.

Et en 2008 il décide de prendre son destin en main en créant son propre groupe, «Malikan», avec qui se produit dans le pays et en Europe. Le public européen est vite conquis et les acteurs culturels découvrent une pépite. C’est ainsi que les résidences musicales vont s’enchaîner pour la grande révélation de la musique malienne. Et cela aussi bien dans le pays qu’en Belgique et en France. L’Espace culturel «Beyray» à Kalabancoro devient le relais national de ces différents projets comme «Femmes et crise du nord», «Mali in move» ou encore «Tous des réfugiés».

Sur le plan artistique, il a laissé à postérité un album, «Nagnuma» ou la «Bonne mère» (Tounka, Saya, Massaké, Baya, Madina et Yermagoye), et une très délicieuse brochette de singles. Les mélomanes vous parleront volontiers de «Mali Denw» ou «Maninkourou» dont les clips ont longtemps tourné en boucle sur les chaînes de télévision comme Africable et ORTM. 

Chantant merveilleusement bien en français, bamanan, songhaï…, Oumar Konta avait réussi à imposer son propre style : le «Mand Arp Song» (manding, arpège et songhoy). «Ce Mand Arp Song résume la passion du jeune homme pour la recherche et la création», écrivait le doyen Youssouf Doumbia dans un article d’hommage. «Au plan national, Oumar Konta et son orchestre ont fait des étincelles au Festival sur le Niger de Ségou et au Festival au Désert. Avec la protection de Salif Kéita, Oumar Konta décroche alors de nombreux contrats de prestation en France, en  Belgique, aux Pays-Bas, au Royaume Uni, en Allemagne, en Espagne et au Portugal», a-t-il ajouté. Il était fréquemment en tournée en Europe et dans de nombreux pays de la sous-région.

L’élan brisé de Lil P, star précoce du rap

Décédé le 7 juin 2022 à seulement 19 ans, Alou Berthé dit Lil P rejoint ce triste registre au niveau du rap. Très précoce, il fut un jeune rappeur très talentueux et assez prometteur qui s’est progressivement imposé au sein du rap malien malgré la concurrence rude. C’est avec Zy Pagala qu’il a commencé à travailler. En fin 2018, il sort le single «I Bolo Wili San Fe» qui se hisse parmi les meilleurs tubes de l’époque. Le 30 septembre 2019, toujours avec Zy Pagala, Lil P sort sa 1ère mixtape dénommée «Trône» et, par la suite, quitte le GLM de Zy Pagala. Le 28 avril 2020, il a marqué ce nouveau départ avec le titre «Ne Djotenina». Il sera suivi de «Gna So» avant la mixtape intitulée «Dakan» (Destin). Un destin qui lui a été tragique en brisant net ce fabuleux élan pris pour une brillante carrière artistique.

Kinzé Diallo dite Batoma, Issa Bagayoko dit «Techno Issa»… La liste des talents brisés avant d’atteindre le sommet de leur art n’est pas exhaustive. Et dans la plupart des cas, ces jeunes et prometteurs talents maliens ont été arrachés de la scène en pleine gloire suite au succès d’un single ou d’un album. Ce qui fait que leur décès a créé l’émoi, mais a aussi fait verser beaucoup d’encre et de salive. Ils sont en effet nombreux ceux qui ont implicitement ou explicitement mis en évidence qu’ils ont été sacrifiés (dans tous les sens du terme) par des mentors jaloux de leur succès. Il en a été surtout beaucoup questions avec les regrettées Chéché et Nabintou. 

«Je suis musulman. Loin donc de moi la volonté d’accuser quelqu’un de quelque chose que je ne peux matériellement prouver. Mais, convenez avec moi qu’il est très curieux que les ennuis de santé de Nabintou aient commencé quand elle a décidé de voler de ses propres ailes. A partir de là, elle n’a plus eu la paix jusqu’à son décès. Je n’accuse personne, c’est quand même curieux», nous a confié un proche de Nabintou Diakité dont tous les albums et singles ont connu un immense succès. Ils sont nombreux à ne pas classer ces disparitions tragiques et précoces dans le registre des «morts naturelles» ! Ce qui est sûr c’est que ces talents sont aujourd’hui immortalisés par les succès légués à la postérité !

Moussa Bolly

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